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Un photographe doit-il avoir un style ? (2/2)

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Si certains photographes ont un style bien identifiable, d’autres en changent allègrement au cours de leur carrière. D’autres enfin semblent totalement s’effacer derrière leur sujet. Comme si le photographe, l’artiste et l’auteur poursuivaient des buts différents. Les uns cherchant à s’affirmer tandis que les autres viseraient à disparaître derrière la photographie. La question du style devient alors périlleuse…


©Dolores Marat, la Mer à Marseille, 2007
©Dolores Marat, la Mer à Marseille, 2007



► Suite de : Un photographe doit-il avoir un style ? (1/2)

Nous avons pris, la semaine dernière, l’exemple de 3 photographes présentant une cohérence stylistique forte et d’ailleurs assez proche. Considérons maintenant les photos de Martin Parr.

Il semblerait que le style de Martin Parr soit bien connu : photos au flash qui sature les couleurs, images à l’ironie mordante, d’une esthétique si premier degré qu’elle s’accorde parfois volontairement à la vulgarité du sujet. L’œuvre n’est pourtant pas si homogène qu’il y paraît : trois photos séparées chacune d’une ou deux décennies nous montrent bien à quel point l’idée que le spectateur se fait du style ne résulte parfois que d’une connaissance superficielle de l’œuvre.



Martin Parr , 1977, Banquet d'investiture du maire , Todmorden, Yorkshire
Martin Parr , 1975, Banquet d’investiture du maire , Todmorden, Yorkshire



'I don't think it's anything particularly forced on Deborah. We've just always enjoyed the same sort of things.' From 'Sign of the Times' by Martin Parr/Magnum Photos, 1991
‘I don’t think it’s anything particularly forced on Deborah. We’ve just always enjoyed the same sort of things.’ From ‘Sign of the Times’ by Martin Parr/Magnum Photos, 1991



©Martin Parr, British Food, 1995-96 / MAGNUM photos
©Martin Parr, British Food, 1995-96 / MAGNUM photos


Ici, le style change mais l’intention artistique du photographe s’affine. On voit ainsi le passage d’une photographie sociale à un esprit plus directement satirique ; en même temps que se montre l’évolution d’une image autonome (la première) à une image qui trouve son sens intégrée à son ensemble (la troisième). Il semblerait même que, de la deuxième à la troisième, photo l’auteur se soit quelque peu mis en retrait. Une attitude qui doit probablement beaucoup à l’intérêt de Parr pour des formes de photographies fonctionnelles (il est l’éditeur des Boring Postcards, cartes postales ennuyeuses des années 50, des photos presque sans auteur vantant les charmes de salles d’attente ou de relais autoroutiers).


Cet effacement du photographe derrière son sujet n’est pas une idée récente. Une des figures historiques de la photographie, l’Américain Walker Evans, s’est même fait le défenseur de ce style de photographie : le style documentaire.

Que serait donc le style documentaire ? Comme son nom l’indique, il s’agit de se dégager d’une photographie exagérément expressive et démonstrative (de sa technique, de ses intentions) pour revenir à une image plus proche de son sujet, qui apparaitrait comme un simple document. Retour donc, à une sorte de conception première de la photographie : ce qu’elle peut faire de mieux, c’est donner une présence à son sujet. Nul besoin donc de pencher l’appareil, de raconter une histoire, de jouer sur le flou ou la profondeur de champ. Il n’y a que le sujet, qu’il soit une personne ou un objet.



©Walker Evans 1936
©Walker Evans 1936


La photo est au service du sujet et non l’inverse. Le résultat ? Une prise de vue simple, frontale, nette, sans contenu narratif, presque impersonnelle puisqu’elle se veut objective. Voilà bien l’incroyable retournement de l’histoire de la photographie : le style le plus fort s’est fondé sur l’absence totale de style. Et depuis les années trente, ce style documentaire inspire lui-même de nombreuses écoles photographiques : ainsi, l’Ecole de Düsseldorf, souvent évoquée dans ces chroniques, est-elle l’héritière directe de cette conception de la photographie.



©Candida Hofer
©Candida Hofer


Mais pourquoi tant de photographes se reconnaissent-ils dans cette vision de la photographie ? Celle d’un photographe qui, au lieu d’imposer son style ou sa patte, s’effacerait derrière le sujet représenté ? C’est qu’il y a là une approche quasi-philosophique du médium : la spécificité de la photographie serait précisément de produire des images froides, neutres, à contre-courant de la peinture et des arts gestuels.

Le geste artistique serait réduit à sa plus simple expression : appuyer sur des boutons, effectuer quelques réglages. L’auteur ne se reconnaît pas à son style mais à ses projets successifs et à l’univers qu’il élabore, projet après projet. Conception démocratique aussi puisque le photographe n’est plus le technicien ou le possesseur d’un matériel qui le place au-dessus de l’amateur.



©Philippe Gronon, Coffre-fort n°3, 1991 40x65 cm
©Philippe Gronon, Coffre-fort n°3, 1991 40×65 cm


Et on arrive là au paradoxe ultime : alors que le style devrait relever plus d’une approche artistique que documentaire, les photographes en quête d’un style personnel sont ceux qui sont plus axés sur une photographie fonctionnelle (mode, reportage). Tandis que beaucoup d’artistes-photographes contemporains privilégient la construction du projet artistique, considérant que le style est une conséquence possible mais non nécessaire.

Une nouvelle raison de considérer l’aujourd’hui de la photographie comme décidément passionnant.



par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué

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Bruno Dubreuil enseigne la photographie au centre Verdier (Paris Xe) depuis 2000. Il se pose beaucoup de questions sur la photographie et y répond dans OAI13.

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