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Les plus arlésiens de nos lecteurs connaissent sans doute Arlala, cette web-série réalisée par Alexandre Liebert chaque été lors des Rencontres de la Photographie (que vous pouvez découvrir ici). On vous propose aujourd’hui d’en découvrir les coulisses, les origines et son réalisateur : Alexandre Liebert.


ARLALA // S02E00 from Alexandre Liebert on Vimeo.



OAI13 : Salut Alex. C’est quoi Arlala ?

Alexandre Liebert : Salut ! Arlala ? Arlala c’est une respiration, un moment de liberté totale, un défouloir, un fourre-tout à conneries, un lâcher-prise jouissif, une mise en danger aussi. Arlala c’est mon épanchoir à mauvaises ondes, ma soupape de décompression. Arlala c’est tout ça, pour moi mais aussi pour son public je pense. Mais Arlala c’est avant tout une websérie auto-filmée, plus ou moins improvisée, vaguement écrite, qui avec un humour qui est le mien et qui semble faire se poiler un petit paquet de gens, raconte les Rencontres d’Arles de manière décalée, désacralisée au possible.

Arlala ça parle de photographie et de photographes. Toi aussi tu en es un ?

Si j’étais photographe je ne serais que frustration. J’aime le mouvement, j’aime le dialogue, j’aime entendre le son du vent dans les arbres et voir couler une larme sur une joue. Faire de la photo m’ennuie rapidement et l’instantané ne me suffit pas, j’ai besoin de l’avant et de l’après ; ne garder qu’un instant c’est, pour moi, se dédouaner de la continuité, c’est refuser le temps qui passe. Je dirais même plus : la photo c’est de la triche, c’est parfois juste un coup de bol.

C’est Gökşin Sipahioğlu, photographe de guerre, qui a dit que « dans ce métier, ne pas avoir de chance est une faute professionnelle ».

Voilà. Je ne suis pas photographe, je suis vidéaste. Et je ne dis pas que je n’aime pas la photo, mais c’est juste que je préfère quand elles défilent rapidement, à plus ou moins 25 par seconde.

Pourquoi parler de ce festival alors, et pas d’un autre festival, comme Cannes ou Avignon ?

Parce que je me sens plus proche de l’angoisse des photographes que de l’hystérie des comédiens. Je fuis l’égocentrisme, je fuis la vanité et le m’as-tu-vu, et je trouve que les photographes sont, à l’inverse, suant d’humilité. Et moi j’aime bien l’humilité.


ARLALA 2015 // EP16 // TOUTES LES EXPOS EN 24H ? from Alexandre Liebert on Vimeo.



Comment s’est passé ta rencontre avec l’univers Arlésien ?

Super bien, merci. J’ai découvert Arles et ses Rencontres en 2013, où j’accompagnais ma nana qui elle-même est photographe. C’est l’amour et la curiosité qui m’y ont amené. La semaine était un peu longue, mais je suis revenu en 2014 avec un petit projet de vidéo qui m’a permis d’abord de ne pas tourner en rond, mais qui m’a aussi fait rencontrer des dizaines de photographes passionnants, qui depuis sont tous devenus des potes.

Aujourd’hui j’ai étrangement un réseau constitué principalement de photographes alors que je devrais avoir des potes documentaristes, monteurs ou cadreurs. Mais je crois que ça me convient, car les photographes ont parfois cette petite étincelle naïve dans leurs yeux quand ils voient que je fais de la vidéo, comme si c’était un tour de magie. Ça me plaît bien ! Et je serai toujours fasciné, en admiration devant ces gens qui parviennent, en une seule image fixe, à raconter autant de choses, simplement, intensément, que moi dans mes films.

Et pourtant je passe cent fois plus de temps sur un film que eux sur une photo. Et là tu vois que je suis en complète contradiction avec la réponse que je t’ai donné plus haut, et ça résume pas mal ma relation avec la photographie et les photographes.

Bref. Cette vidéo en 2014 m’a fait aussi rencontrer la rédaction d’OAI13, et tout cela a entraîné la création d’Arlala, plus ou moins 4 jours avant le début des Rencontres 2015.

Tu as quelques anecdotes sur les épisodes que tu as tourné ?

Des tonnes ! Je pourrais en raconter minimum une pour chaque épisode tourné. Mais les plus belles anecdotes viennent des personnes – photographes ou autres – qui ont accepté de participer à mes délires. Je ne vais en raconter qu’une seule car elle est un peu longue à raconter.

Il était une fois Philippe Bernard, un photographe spécialiste du flou, théoricien même. Il a une série qui s’appelle Synthèse, qui reprend des tableaux de grands maîtres en les faisant passer au compresseur du flou total pour n’en récupérer qu’une seule et unique teinte. Je lui avais demandé s’il accepterait de tourner dans un épisode, pour une rubrique intitulée « Opération Portfolio », où dans chaque épisode je fais une fausse lecture du travail d’un photographe, en prenant tout au premier degré. Il m’avait répondu mot pour mot : « Of course. Vive la dérision ! Comme le jambon, y a qu’ ça d’bon ! »


ARLALA S02E14 // PHILIPPE BERNARD from Alexandre Liebert on Vimeo.



Je lui ai donc envoyé un scénario dans lequel, à un moment, je remettais toutes ses »synthèses » dans l’ordre, pour avoir un joli nuancier pantone. Il avait adoré le scénario, mais seul hic : son boulot se présentait en bouquin, dont je ne pouvais rien remettre dans l’ordre. J’ai réécrit le scénario, dans lequel je faisais croire que je déchirais une page du bouquin et qu’il me foutait un pain (juste avec des bruitages, hors-champ). Il m’a dit banco.

Le jour du tournage de cette épisode, le matin même, il montrait ce même travail à d’autres personnes, sérieuses, elles. Et l’une de ces personnes lui a fait une remarque qui l’a tourneboulé, du genre : « j’adore, c’est génial, mais c’est beaucoup trop propre ton truc, ça manque de chaos, de trucs déchirés et recollés avec du scotch, agrafés etc. » Bref, ça l’a tournicoté toute la journée jusqu’à ce qu’il arrive Cour de l’Archevêché pour le tournage, où il m’annonce :« mec, je crois qu’on va déchirer mon bouquin ». Je lui ai demandé 50 fois s’il était sûr de vouloir le faire, et il en était persuadé. On s’est donc retrouvé, pour l’épisode en question, à déchirer toutes les pages du bouquin. Toutes !

Moi je trouve ce geste incroyable, car il désacralise totalement le soi-disant »divin » du portfolio, que l’on manipule avec précaution, avec des gants s’il le faut. Et beaucoup m’ont dit ensuite qu’ils avaient sursauté devant ce geste, en voyant l’épisode, mais qu’ils avaient ensuite applaudit en pensée.

Lui, Philippe, il se baladait ensuite dans les rues d’Arles, à montrer son bouquin en l’état, en racontant à chaque fois une version différente de l’histoire, et en faisant croire, à chaque fois, à la véracité de l’acte, qu’un « lecteur professionnel » lui avait bel et bien déchiré son bouquin.


SCARS OF CAMBODIA // TEASER FR from Alexandre Liebert on Vimeo.



Tu es le co-auteur de Scars of Cambodia, un documentaire primé dans plusieurs festivals, l’auteur de plusieurs films sur le 13 novembre mais aussi plus récemment de courts-métrages sur les Yézidis. Ce sont des sujets plutôt graves, ou sérieux, à l’opposé d’Arlala… Ça ne te dérange pas un tel grand écart ?

J’ai toujours été très souple.
Comme je l’ai dit avant, cette websérie est une soupape de décompression, un entonnoir à euphorie qui me permet d’emmagasiner un maximum d’ondes positives pour ensuite pouvoir m’investir pleinement dans ces sujets dits « graves, ou sérieux ».
Je suis quelqu’un de très empathique et donc j’ai besoin d’équilibrer mes émotions de temps à autre, de rétablir la balance. Par contre, si tu me demandais de choisir entre Arlala et mon projet au Kurdistan sur les Yézidis, je n’hésiterai pas un instant et je choisirai le Kurdistan. Arlala me fait délirer mais mes projets de documentaires me font vibrer, me font pleurer, me font vivre humainement.


ICI from Alexandre Liebert on Vimeo.



Je ne suis pas comédien, je ne suis pas improvisateur ni animateur de quoi que ce soit, je me débrouille juste comme je peux devant une caméra. Non, je suis réalisateur, vidéaste, comme tu veux, je suis un conteur dans le sang, pas un saltimbanque. Et chose curieuse : je ne suis pas photographe, mais mes deux gros projets de ces dernières années, je les ai fait en collaboration avec deux photographes, Emilie Arfeuil pour le Cambodge, et Michel Slomka pour le Kurdistan. Aujourd’hui j’ai l’impression que je ne pourrais rien faire sans la photo, ou en tout cas rien sans un photographe qui peut me montrer que ma vidéo est inutile car sa photo raconte déjà tout, mais qui à l’inverse dans d’autres contextes pourra aussi admettre que sa photo ne raconte rien et que ma vidéo devient indispensable.

Est-ce qu’il y a un message caché derrière Arlala ?

Bien évidemment. Étant de confession franc-maçonnique, ce message caché est même l’unique raison d’être de cette série. Si vous prenez les 1er, 6e, 18e et 33e mots de chaque épisode, et que vous les lisez tous à l’envers, vous aurez le nom de Dieu en argot araméen ainsi qu’une approximation de la fin du monde à 12 ans près.

C’est quoi la suite ?

La suite pour mes projets ? Le Kurdistan va m’occuper jusqu’en 2017 minimum, et entre temps je vais avoir une grosse expo avec photos et installations vidéo pour le projet Scars of Cambodia, une résidence en Seine St-Denis, un clip pour un pote, un projet collectif de plans-séquence, l’écriture d’une série fiction sur Bételgeuse, d’autres projets documentaires qui s’écrivent, des petits, des grands, plein d’idées et plein de projets avec plein de gens.
La suite pour Arlala ? Je ne sais pas. Peut-être une saison 3. Ça se décidera potentiellement deux minutes avant l’heure, dans l’urgence, dans l’impro. Je veux que ça reste un truc totalement libre, indépendant, sans contraintes. Je fais ça juste pour le fun, je fais ça gratos. Donc tant que ça reste comme ça, et si j’ai la motive, le temps et l’énergie, alors je signerai pour une nouvelle saison chaque année !
La suite pour moi, là, tout de suite ? Manger un peu de salade grecque, regarder les derniers épisodes de Stranger Things, me demander si demain il va y avoir encore un autre attentat quelque part, profiter du coucher de soleil sur ma terrasse, me gratter le cul. Je vais finir là-dessus tiens. Voilà. Je m’en gratte le cul ! Avec ou sans nouilles, au choix du client.