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Quel avenir pour le photojournalisme ? Du côté des médias…

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Du 31 août au 9 septembre, (presque) tous les yeux sont tournés vers Perpignan : la 25e édition du festival Visa pour l’Image s’y déroule. L’occasion, comme chaque année, d’y faire un bilan entre professionnels. Depuis plusieurs années, la profession souffre à cause de la crise de la presse, et même de la crise tout court. Baisse des commandes, précarité des photojournalistes, crises des agences et des publications, le moral n’y est pas, et l’argent non plus. Cette année, Our Age Is Thirteen souhaite ouvrir les perspectives en posant une question aux acteurs de la profession : « Qu’imaginez-vous pour l’avenir du photojournalisme ? »

Aujourd’hui, du côté des médias, découvrez les réponses de Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef de 6Mois, Dimitri Beck, rédacteur en chef de Polka Magazine, James Estrin, co-rédacteur du Lens Blog du New York Times et Andrei Polikanov, co-rédacteur en chef et directeur photo de Russian Reporter Magazine



Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef de 6Mois

Age13 : À notre connaissance, la revue 6Mois ne produit pas de sujet de photojournalisme. Peux-tu nous expliquer pourquoi ? Est-ce quelque chose que tu envisagerais ?

M-P-S : Ce n’est pas exclu – qui sait ? -, mais nous sommes submergés par les propositions et nous découvrons beaucoup de projets intéressants qu’aucune publication ne donne à voir sur la longueur. Face à tous ces sujets, 6Mois fonctionne aux coups de cœur. Comme dit Jon Levy, interviewé dans le dernier numéro, ce qui compte c’est le chemin parcouru par le photojournaliste, son engagement, son envie. Ce qui nous intéresse, c’est le traitement qui est fait d’un sujet autant que le sujet lui-même et ça, ça ne se commande pas.

Age13 : Qu’imagines-tu pour l’avenir du photojournalisme ?

M-P-S : Tous les médias vivent une époque charnière et nul ne sait de quoi ils seront faits demain. Mais je n’imagine pas que l’on se satisfasse du chaos qu’est l’Internet, des 70 milliards de photos chargées chaque année sur Facebook, des 3 000 photos déposées toutes les minutes sur Flickr. Ce déluge n’a pas de sens. Même les internautes ont besoin de trouver du sens, de voir des histoires et pas seulement des instantanés. Et cela seuls les photojournalistes savent le faire. Sans doute seront-ils moins nombreux, mais il y aura toujours de la place pour ceux qui apporteront de la valeur ajoutée. C’est d’ailleurs la démarche de 6Mois : donner de la visibilité à la production qui a du sens. Et le succès de la revue montre bien qu’il existe un public pour les bons photojournalistes.

6mois.fr

Crédit photo : Sidonie Mangin


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Dimitri Beck, rédacteur en chef de Poka Magazine

Age13 : Continuez-vous, chez Polka, à produire des sujets de photojournalisme ? Peux-tu nous expliquer le positionnement du magazine dans ce domaine ?

D-B : Polka produit des sujets de reportages depuis plus de trois ans maintenant. Environ 50% du contenu éditorial est de la production, que ce soit dans la partie magazine ou dans les sections Polka image et Polk’art.

Produire est essentiel dans notre métier. Pas de journalisme sans curiosité et encore moins si l’on ne va pas voir sur le terrain ce qui se passe.

L’être humain est au cœur de toutes nos histoires. Même quand il s’agit de nature, c’est son interaction avec l’homme qui nous intéresse. Que fait-on? Comment vit-on ? Comment évolue-t-on? Ce sont ces questions simples impliquant souvent des réponses compliquées qui constituent la ligne éditoriale de Polka. Montrer la diversité du monde d’aujourd’hui, dur, révoltant, rebelle, touchant, beau, amusant, fascinant. c’est ce qui nous motive et nous passionne.

Le langage de la photographie nous permet d’aborder ces complexités et ces subtilités. Tout en gardant le cap qui est et doit être celui de la presse : informer.

Age13 : Qu’imagines-tu pour l’avenir du photojournalisme ?

D-B :Tout le monde, y compris la profession, dresse souvent un tableau noir de l’avenir du photojournalisme. Et du journalisme en général. Les faits sont là : précarisation, pertes de libertés, dangers accrus sur les terrains de conflits… Et pourtant, il y a de plus en plus de photographes, de toutes nationalités ; des travaux de grande qualité continuent à être produits, même si c’est de moins en moins par la presse traditionnelle. Il n’a jamais été aussi facile et accessible pour le grand public de voir de bonnes photos et de très bons reportages.

Les journalistes, et par extension les photojournalistes, sont, doivent être et doivent rester des empêcheurs de tourner en rond. Et ne pas être juste le petit rapporteur. Restons des reporters. La plume et l’appareil photo sont nos armes pour défendre toutes les libertés.

Il n’a jamais été facile de faire ce métier. Mais comme dans tous les domaines, quand les choses changent, il y a toujours ceux qui disent que c’était mieux avant.

Il faut vivre avec son temps. Aujourd’hui, il faut comprendre qui fait quoi, où se trouve l’argent pour continuer à faire notre métier. Le tout est de connaître le cahier des charges afin de garder sa liberté éditoriale quels que soient le patron, le financier, le mécène. Il faut aussi inventer de nouvelles manières de faire notre métier et de le financer, s’associer et développer des synergies avec des partenaires qui croient en ce métier. Bref, construire notre avenir.

polkamagazine.com

Crédit photo : Fardin Wahezi
Crédit photo de une : Alain Buu / Prix AFD-POLKA


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James Estrin, co-rédacteur du Lens Blog du New York Times

Age13 : Quelle est la situation du photojournalisme aux Etats-Unis ?

J-E : En dépit des caprices du marché éditorial, les photojournalistes américains fournissent des sujets exceptionnels, que ce soit dans le pays ou à l’étranger. Chaque année, je vois plusieurs milliers de sujets photographiques et plus de 100 000 images quotidiennes d’actualité. Les photographes repoussent les limites et proposent de nouvelles manières d’impliquer le public et de raconter des histoires visuellement. Beaucoup de travaux sont à admirer.

Age13 : Comment travaillez-vous avec les photographes au Lens Blog ?

J-E : En général, nos articles principaux se concentrent sur un reportage ou un travail d’un photographe. Il s’agit souvent d’un projet personnel à long terme. Nous écrivons aussi bien sur l’auteur que sur les images, parce que les photographies n’arrivent pas toutes seules – elles arrivent grâce à la femme ou l’homme qui tient l’appareil.

Les gens soumettent souvent leur travail pour qu’il soit vu et apprécié. Il nous arrive aussi de trouver des sujets ailleurs ou à travers les réseaux sociaux. Enfin, nombre de nos lecteurs attirent notre attention sur d’autres photographes.

Si je suis heureux de publier de magnifiques sujets réalisés par des photographes de grande notoriété, je le suis plus encore de publier des travaux de photographes moins connus, voire complètement inconnus. Nous nous intéressons particulièrement à des projets réalisés par des personnes qui ne sont pas parachutées dans un lieu qu’elles ne connaissent pas bien, mais documentent leur propre environnement et en offrent une vision de l’intérieur.

Comment nous choisissons les travaux paraissant sur Lens ? En résumé, c’est très simple : ils doivent plaire et paraître bons à David Gonzalez, mon co-rédacteur en chef, Matt McCann, notre producteur, et à moi-même.

Les Pictures of the Day (Images du jour) sont des images de photographes qui travaillent pour les dépêches d’actualité ou directement pour The New York Times. Elles doivent avoir été prises le jour même.

Age13 : Qu’imaginez-tu pour l’avenir du photojournalisme ?

J-E : Je pense que l’imagerie 3D et le média immersif, semblable à la réalité virtuelle, passeront au premier plan dans les prochaines années. Google Glass (projet de recherche et de développement lancé par Google sur la création d’une paire de lunettes avec une réalité augmentée, NDLR) propose aussi des pistes intéressantes pour l’avenir.

Nous devons trouver de nouvelles manières de financer notre travail, parce que le storytelling visuel que nous réalisons est important. Je suis fier d’être un photojournaliste.

lens.blogs.nytimes.com

Crédit photo : Fred Conrad


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Andrei Polikanov, co-rédacteur en chef et directeur photo de Russian Reporter Magazine

Age13 : Est-ce que Russian Reporter Magazine produit des sujets de photojournalisme ? Quel est son positionnement dans ce domaine ?

A-P : Produire du photojournalisme représente l’essence et le cœur du travail de notre desk photo. Nous avons lancé le projet il y a six ans, à une époque où tous les autres titres de presse papier russes avaient perdu la notion et la tradition du reportage photographique. Ils se contentaient des dépêches ou des images que leurs photographes leur rapportaient, c’est-à-dire celles illustrant directement les articles. La plupart d’entre eux travaillaient de manière un peu étrange, en divisant leurs photos entre celles pour la publication (qu’ils appelaient “une photo garantie”) et celles réalisées pour eux-mêmes (“la photographie de l’âme”). Mais ce n’était pas eux les responsables, je pense, car les rédacteurs en chef, qui ont pris le pouvoir dans les années 1990, ont totalement détruit les départements photo. Ils viraient les iconographes qui avaient du charisme et du savoir-faire. Leur seul souhait était de combler les blancs dans la page, et moins ils payaient, mieux c’était.
Nous avons eu beaucoup de chance d’avoir un rédacteur en chef très coopératif, éclairé et compréhensif. Il faisait entièrement confiance à notre équipe et nous donnait la liberté de faire notre métier. Nous avons commencé à travailler avec des photographes expérimentés et de jeunes indépendants. Nous avons financé leurs projets personnels (“Grozny: 9 cities”, de Olga Kravets, Marina Morina et Oksana Yushko ; “La route de la soie – Along the Silk Road: Road to Ruin”, de Stanley Greene et “The Yamal Peninsula”, de Yuri Kozyrev, de Noor, entre autres) et leur avons commandé des grands reportages. Mais le plus important dans notre collaboration, selon moi, a été la compréhension qu’ils pouvaient agir en toute liberté. Les photographes et les iconographes sont ouverts à de nouvelles idées, de nouvelles approches et à l’amour de l’expérimentation. Autre chose primordiale : la confiance mutuelle.

Le résultat de ce travail est assez impressionnant : en six ans, nous avons reçu 19 récompenses internationales (Picture of the Year & National Press Photo Association, entre autres) pour des sujets produits par Russian Reporter Magazine.

Malheureusement, depuis peu, nous avons cessé d’envoyer des photographes en commande, en raison des graves problèmes financiers auxquels le magazine fait face actuellement. Mais nous continuons, au moins une fois par mois (c’est un hebdomadaire), de publier des sujets photojournalistiques forts et nous espérons que la situation va s’améliorer – même si nous n’avons pas d’illusion sur le retour de l’âge d’or du photojournalisme dans les médias traditionnels.

Age13 : Qu’imaginez-vous pour l’avenir du photojournalisme, et plus particulièrement en Russie ?

A-P : Actuellement, l’industrie vit une période de transition : le média traditionnel perd sa position privilégiée en tant qu’inspirateur du photojournalisme. Mais on assiste à l’émergence de plateformes élaborées, qui nous donnent de l’espoir à tous.

Mon souhait est qu’en Russie, nous nous ouvrions plus à ces nouvelles directions. Je suis convaincu que nous devons passer à la vitesse supérieure dans notre expérimentation avec les nouveaux médias.

rusrep.ru

Crédit photo : Kirill Lagutko

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