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« J’aimerais que les photographes aient une démarche volontariste », Pierre Morel, photojournaliste

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Cet article fait parti du dossier de la semaine du 07.04.14 : Paroles de photojournalistes

Vendredi 4 avril, le photojournaliste Pierre Morel a publié sur son blog un billet intitulé « Engagez-vous, qu’y disaient ! » dans lequel il exhorte les jeunes photographes à s’engager et militer dans des organismes de défenses des droits des photographes comme l’UPP, la SAIF, Freelens, etc. « On m’avait prévenu avant de faire ce métier : les photographes sont individualistes. On sait boire des coups dans les rades de Paris. On se célèbre facilement ensemble à Visa pour l’Image (festival de photojournalisme, ndlr). On s’indigne quand un confrère se fait tuer ou censurer. Pourtant, on ne sait pas faire du travail militant et syndical. On ne s’investit pas dans la professionnalité de notre métier », introduit-il. OAI13 a pris contact avec ce jeune photographe militant. Quels sont les combats des photographes aujourd’hui ? Pourquoi est-ce important de militer ? Pierre Morel nous a répondu avec beaucoup de franchise et de simplicité.



Pierre Morel par Matt Lutton

OAI13 : Tu fais partie de l’UPP ?
Pierre Morel : Oui, je suis adhérent de l’UPP. Dans cette association, il y a plusieurs commissions qui traitent de plusieurs problématiques. Je suis membre de la commission photojournaliste. On a des réunions tous les 3 ou 4 mois, suite auxquelles nous faisons des recommandations pour le conseil d’administration de l’UPP.

OAI13 : Quels sont vos ordres du jour ?
P-M : En ce moment, on est en train d’écrire un code de bonne conduite qui va être rédigé entre les éditeurs de presse et les organismes représentant les photographes. C’est un texte qui fait 5 ou 6 pages et qui stipule que les magazines doivent envoyer aux photographes les parutions 7 jours après, qu’ils doivent s’engager à utiliser le moins possible des images issues de microstock (banque d’images à prix très faibles, ndlr)… Je ne sais pas si cela aura beaucoup de répercussions, mais on travaille sur ce genre de choses. On discute quand les photojournalistes ont des problèmes sur le terrain. On organise des prix pour la photographie documentaire.

OAI13 : Sur ton blog, tu constates qu’il n’y a que peu de jeunes photographes à s’engager dans ces activités.
P-M : Oui. Dans ces organismes, que ce soit l’UPP, l’Agessa, la SAIF ou Freelens, il y a très peu de jeunes. Par exemple, dans la commission photojournaliste, on est cinq ou six et je suis le seul à avoir moins de 50 ans. Ce manque de jeunes photographes est très dommageable parce que le métier a énormément changé ces 10 ou 15 dernières années et il faut que la jeune génération, qui est en contact direct avec les évolutions du métier, soit représentée dans ces organismes. Cela permettra aux associations de représentations de photographes d’avoir un discours en phase avec la réalité du métier. Il y a quelques années, Freelens paraissait un peu plus au fait des évolutions du numérique. Il y avait des gens comme Olivier Touron, Wilfrid Estève, Lorenzo Virgili, qui étaient très engagés sur les réseaux numériques.
Il nous faut aujourd’hui des jeunes photographes, mais aussi des jeunes photographes qui marchent bien. Un des soucis de notre métier c’est que quand on marche bien, on ne s’engage pas forcément pour défendre nos droits, parce qu’on n’en voit pas directement la nécessité. Pourtant, c’est très important de partager l’expérience de gens qui réussissent professionnellement.

OAI13 : Quel est le véritable impact de ces organismes de représentation des photographes ?
P-M : Au niveau des institutions, elles ont un rôle de lobby assez important. Elles peuvent informer des députés, des institutions locales, les faiseurs de lois sur la situation des photographes. Elles sont consultées assez régulièrement par les ministères. L’Etat a besoin de s’orienter vers des représentants de la société civile pour définir ses actions. Ensuite, quand il y a des problèmes de droits d’auteur, ces associations interviennent assez régulièrement pour défendre les photographes. Elles ont aussi un rôle de formation auprès des photographes. Et enfin, elles informent le grand public de la situation des photographes. Néanmoins, j’ai souvent l’impression que le discours développé ne touche pas grande monde. Ce serait bien d’intégrer des jeunes acteurs dans ces organismes pour les rendre plus actifs et plus accessibles. Par exemple, le photographe de presse Antoine Doyen a fondé en 2010 la liste de discussion EP France inspirée du site Editorial Photographers UK où les photographes professionnels peuvent discuter et partager leurs expériences. Cette initiative est très bénéfique car elle nous permet de parler de choses très concrètes avec d’autres gens faisant le même métier. Je trouve que c’est le rôle de l’UPP de lancer ce genre de choses. Alors que là, c’est une initiative personnelle qui pallie l’absence de l’UPP sur ces terrains là.

OAI13 : Selon toi, pourquoi les jeunes photographes ne s’engagent pas dans ces problématiques ?
P-M : Ça me questionne autant que toi. Je n’ai pas vraiment de réponse ferme. Tout d’abord, la diversité des statuts pour les photographes fait qu’il n’existe pas situation uniformes. Nous sommes tous confrontés à des problématiques différentes en fonction de notre mode de rémunération (salaires, piges, droits d’auteur) ou de notre statut (salarié, auto-entrepreneur, entreprise individuelle). Même les organismes comme l’UPP, la SAIF, etc, ont été structurées en fonction des différents statuts : Freelens était pour des photographes salariés de la presse ou payés à la pige, l’UPP était pour les photographes auteurs à l’Agessa, et le GNPP s’adressait aux photographes artisans (ceux qui font du mariage ou qui ont boutique sur rue). Aujourd’hui, la situation est un peu plus compliquée. Je travaille pour la presse mais je fais du mariage l’été et j’ai un statut d’auteur. Bref, il est difficile de se repérer.
Ensuite, je pense que ces organismes n’attirent pas les jeunes car elles ont clairement un déficit d’images. Quand Freelens s’était lancé, ça avait plutôt bien pris auprès des photographes de presse. Maintenant, l’engouement est un peu passé.
On est dans un métier qui est aussi très individualiste et ça prend du temps de s’engager. Il faut pouvoir se créer un créneau dans son emploi du temps.
Beaucoup de jeunes photographes me disent que c’est trop cher, mais ça, je n’y crois pas parce que nous dépensons toute l’année des milliers d’euros pour investir dans du matériel très cher, et une adhésion chez l’UPP coûte 205 euros (et 100 euros pour les photographes qui ont moins de deux ans d’activité).
Mais au-delà de l’adhésion, ce qui est important c’est de militer. Il faut faire circuler les informations. On est tous des professionnels et on gagnera à s’entraider.

OAI13 : Pour toi, quelles sont les enjeux pour les photojournalistes aujourd’hui ?
P-M : Les questions du statut et de la rémunération vont être un point essentiel dans les 5-10 années à venir. Il va falloir être très présent pour ne pas se faire écraser. Il va falloir harmoniser les différentes règles de rémunération. Il faut qu’on aie un statut de photographe indépendant qui soit plus fort qu’aujourd’hui.
L’autre grand enjeu est la question des droits d’auteur. J’espère qu’on aura suffisamment d’ouverture et de compétence pour réfléchir sereinement à cette question. Au XXIe siècle, est-ce que la rémunération en droits d’auteur est toujours pertinente ? Ne peut-on pas trouver un modèle hybride ? Pour le moment, la position de la majorité des professionnels est de garder le droit d’auteur coûte que coûte, mais personnellement, je ne suis pas certain que ce soit une bonne solution. J’ai grandi avec Internet, j’ai souvent diffusé mes photos en Creative Commons (organisation à but non lucratif destinée à faciliter la diffusion et le partage des oeuvres tout en accompagnant les nouvelles pratiques de création à l’ère numérique, ndlr) .avant d’être professionnel. J’aimerais bien que notre génération soit capable d’aborder cette question avec pertinence. Voilà les deux points essentiels : le statut des photographes et la question du droit d’auteur.

Enfin, j’aimerais qu’on puisse parler du business de la photographie en France. Depuis deux ans, je lis beaucoup de blogs américains sur la photographie et j’y trouve un discours beaucoup plus volontariste qu’en France. Les gens y parlent de thunes, d’équilibre entre vie privée et professionnelle… Ils se donnent les moyens de faire évoluer leur métier. J’aimerais qu’en France, la communauté des photographes se mettent dans cette dynamique.


Cet article fait parti du dossier de la semaine du 07.04.14 : Paroles de photojournalistes