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Festival Photoreporter, l’espoir déçu des photojournalistes

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[box]Cet article fait partie du dossier de la semaine du 10.03.14 : Festivals photo, nouveaux enjeux[/box]

Créé en réponse à la crise que traverse le photojournalisme, le festival Photoreporter de Saint-Brieuc se retrouve aujourd’hui confronté à une remise en question de son propre modèle économique suite à des problèmes de trésorerie.

Enquête écrite en collaboration avec Olivier Laurent, British Journal of Photography. Version anglaise disponible ici

[pullquote type= »2″] »L’objectif de Photoreporter est de devenir un laboratoire qui expérimentera des modèles économiques pour la profession »

– Alexandre Solacolu, directeur du festival Photoreporter

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Le festival Photoreporter naît en 2012 à Saint-Brieuc, en Bretagne, avec une promesse : faire appel aux entreprises locales pour financer des sujets de photojournalisme à travers le monde. L’idée est portée par Alexandre Solacolu, qui s’est inspiré du sponsoring sportif où il a fait ses débuts. Dès la première édition, la presse et le milieu photo sont dithyrambiques. La possibilité d’un modèle économique pour le photojournalisme ravit les photographes et les magazines. Les acteurs du festival diffusent un message optimiste pour le photojournalisme. Alexandre Solacolu confie au BJP en décembre 2012 : « L’objectif de Photoreporter est de devenir un laboratoire qui expérimentera des modèles économiques pour la profession. J’adorerais voir d’autres acteurs se servir de notre modèle pour financer des nouveaux travaux. » Didier Rapaud, directeur artistique du festival, parle d’une initiative porteuse : « Je crois qu’il y a de l’espoir pour ce métier. Je ne parle pas d’une révolution mais plutôt d’un rayon de soleil qui n’existait pas auparavant. »

En tout, ce serait 300 000 euros réunis en deux ans pour financer les sujets de Gary Knight sur l’immigration, Olivier Jobard sur la précarité, Tomas Van Houtryve sur les îles Marshall, Robin Hammond à Lagos et bien d’autres encore. Mais, des problèmes de trésorerie amenant des retards de paiement des photographes ont permis de lever le voile sur un modèle économique qui, malgré son concept novateur, nécessite encore d’être consolidé.

En 2012, le festival se monte avec l’ambition de réunir 450 000 euros dont 300 000 venant des entreprises. Mais huit mois plus tard, la séance publique du conseil d’agglomération du 6 juin 2013 révèle des recettes atteignant seulement 111 000 euros pour le festival, créant un déficit de 115 000 euros dans les comptes de l’Office du tourisme. À ce titre, l’agglomération décide d’accorder une subvention d’équilibre pour rétablir la santé financière du festival. À partir de cette date, c’est l’agglomération de Saint-Brieuc qui reprend l’organisation du festival, notamment sous ses aspects financiers, laissant à l’Office du tourisme les aspects évènementiels.



Alexandre Solacolu lors de l’inauguration de la 2e édition du Festival Photoreporter

[pullquote type= »2″] »Le festival a eu lieu, le public s’est émerveillé devant les expositions, l’agglomération de Saint-Brieuc a eu son événement, seuls les photographes ont été lésés »

– les 13 photographes de l’édition 2013

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Ces problèmes de financement se sont perpétués sur l’année 2013 où certaines entreprises ont décidé d’échelonner leur paiement, créant un nouveau déficit financier provisoire dont l’impact fut direct sur les photographes. En octobre 2013, ces derniers attendaient le versement du reste de leur bourse, prévu initialement en septembre.

Le 17 décembre 2013, les photojournalistes sont toujours sans réponse de la part de l’organisation du festival quant à ce défaut de paiement. Ils adressent un mail aux membres du jury de cette édition* et aux organisateurs :

« Nous, les treize photographes lauréats de l’édition 2013 du Festival Photoreporter en Baie de St-Brieuc avons décidé de vous adresser cette lettre collectivement afin d’exprimer notre déception et colère devant l’incapacité du Festival à honorer ses engagements à notre égard. (…) Le Festival Photoreporter en Baie de St-Brieuc se présente depuis sa création comme un nouveau modèle et une réponse à la crise que traverse aujourd’hui le photojournalisme. Le festival a eu lieu, le public s’est émerveillé devant les expositions, l’agglomération de St-Brieuc a eu son événement, seuls les photographes ont été lésés. (…) Notre patience et notre compréhension ont atteint leurs limites. »  Suite à ce courrier, l’agglomération s’est décidée à contracter un prêt afin d’effectuer les derniers versements dus.

Joel Halioua, chargé des relations avec les photographes, assure que ces problèmes de trésorerie n’ont pas affecté le travail des photojournalistes : « C’est vrai que les photographes ont tendance à être moins critique vis à vis de magazine qui les payent à 90 jours parce qu’ils ne peuvent pas se payer le luxe de s’engueuler avec eux. La sélection des dossiers a été faite en janvier-février. Ils ont pour la plupart touché une avance à partir du moment où ils l’ont demandée. Le contrat de Photoreporter spécifiait le versement d’un tiers de la bourse à la commande, un tiers à la livraison et un tiers pendant le festival. Effectivement ils auraient dû recevoir une partie à la livraison, mais il y a eu des bêtes problèmes administratifs de la part des sponsors et du trésorier du festival. Officiellement, l’argent était là. Simplement il n’a pas été réparti en temps et en heure par les pouvoirs en charge. » À date de ce courrier, le 17 décembre 2013, le festival devait encore 43 336 euros aux photographes. Les situations entre les différents lauréats sont assez disparates : il manque à certains le dernier tiers de leur bourse (entre 1 300 et 3 000 euros) et pour d’autres, plus de la moitié, voire sa totalité (de 4 000 à 9 000 euros).

Peter Dench, lauréat 2013, témoigne : « Alors qu’on nous a demandé de commencer nos sujets au mois d’avril, j’ai reçu mon premier versement en mai et le second seulement 8 jours avant la date de rendu des images. Ces retards ont mis en danger la réalisation de mon sujet. J’ai été chanceux car j’ai pu percevoir ces premiers versements, contrairement à d’autres photographes. J’ai constamment harcelé les organisateurs pour obtenir cet argent sans lequel je ne pouvais commencer mon sujet. J’ai finalement fait appel à Getty Images pour m’aider à obtenir le dernier versement qui me fut viré en novembre au lieu de septembre. » Le moral des photographes était au plus bas après cette expérience. L’euphorie du vernissage et de la communication autour du festival laisse place à la déception de voir une si belle initiative se dérouler ainsi. Robin Hammond, photojournaliste sélectionné pour l’édition 2013, partage son ressenti : « Ils disaient vouloir résoudre les problèmes du photojournalisme, mais au final, c’était presque pire. Vous savez, la plupart de mes clients, quand il me disent qu’ils vont me payer, ils le font. »



photoreporter
[pullquote type= »2″] »Cette année, tout sera mieux géré. On aura un échéancier mieux maitrisé. Le contrat sera tenu »

– Alexandre Solacolu, directeur du festival Photoreporter

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L’agglomération accuse le coup en rappelant que les premières éditions d’un évènement sont toujours compliquées à installer : « En deux ans, le festival a fait ses armes, nous avons essuyé les plâtres. Quand on lance un évènement tel que celui-ci avec un modèle économique novateur, on sait pertinemment que les premières éditions seront des bases perfectibles d’année en année. D’ailleurs, de 2012 à 2013, d’un point de vue financier, nous avons optimisé le budget. En 2013, le budget a diminué de 200 000 euros pour aboutir à 450 000 euros avec un financement public / privé », dont 120 000 euros selon Alexandre Solacolu pour les photographes. Un chiffre qui est destiné à diminuer pour refléter les nouvelles ambitions du festival, qui a pris acte de ces difficultés. Alexandre Solacolu évoque le manque d’organisation et l’absence d’un échéancier de dépenses : « On ne l’avait pas vraiment les deux premières années parce qu’à chaque fois, on était parti sur un modèle théorique. » Mais aujourd’hui, ce modèle théorique a révélé ses faiblesses et entraîné une remise en question de l’organisation. Le fondateur du festival s’exprime : « Cette année, tout sera mieux géré. On aura un échéancier mieux maitrisé. Le contrat sera tenu. Il faut maintenant que l’on soit dans un contexte où l’on ne recherche pas la reconnaissance de nos pairs. Notre but est plutôt de s’interroger sur l’évolution de notre société, la place qu’on donne à l’image et au photojournalisme. Maintenant, tous les supports de démonstration de l’image ont changé et, vraisemblablement, les modes de narration aussi. »

Les défis des prochaines éditions sont clairs : faire du qualitatif, donner une stature internationale au festival et expérimenter des nouveaux modes de diffusion pour le photojournalisme. Alexandre Solacolu a fait appel à Marc Prüst, commissaire indépendant et consultant en photographie, pour devenir le nouveau directeur artistique du festival. Ses missions ? Évaluer les travaux proposés, faire la sélection des projets qui seront financés, suivre les photographes, éditer et scénographier le travail rendu, faire appel à son réseau international pour faire grossir le festival. Marc Prüst assumera seul la sélection des dossiers : « Je suis à la recherche de projets “non-fictionnels” C’est à dire une photographie qui me parle de la réalité. Je veux voir des histoires. » La stature internationale, elle, s’acquerra avec le temps : « Imposer un festival à l’international ne se fait pas en quelques mois. C’est une question d’ambition sur le long terme. Nous devons devenir un lieu de rencontre pour la photographie “non-fictionnelle” à l’échelle mondiale. Nous devons produire de nouveaux travaux, permettre aux acteurs d’échanger sur de nouveaux concepts, de nouveaux modèles économiques et de nouvelles façons de raconter les histoires », explique Marc Prüst.

*(Olivier Laurent a fait partie du jury et a reçu ce courrier en cette qualité)



[box]Cet article fait partie du dossier de la semaine du 10.03.14 : Festivals photo, nouveaux enjeux[/box]

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