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Toutes les images : © Frédérick Carnet

Dès les débuts d’OAI13, je m’étais intéressée aux photographes qui auto-éditent leur livres. J’avais notamment rencontré Thomas Jorion, qui m’avait raconté la genèse de son livre « Ilots intemporels ». Peu de temps après, j’ai découvert le travail de Frédérick Carnet.



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En 2011, après avoir arrêté ses activités de photographe publicitaire, il décide de partir au Japon avec son appareil photo et son vélo. Il prépare en ce moment la sortie de son livre, 日本 2011, qui raconte cette expérience.

OAI13 : Pourquoi avoir décidé de partir ?

Frédérick Carnet : Les raisons qui ont motivés mon départ pour le Japon sont multiples et complexes. Les premières raisons sont personnelles. Depuis plusieurs années je me questionnais sur ma façon de faire de la photographie.

Après avoir quitté Paris pour un petit village de la Sarthe où vit une bonne partie de ma famille, j’ai commencé à prendre le large professionnellement. J’ai quitté mon agent en janvier 2011. J’ai arrêté de démarcher pour développer mon travail commercial puis je me suis séparé d’une partie de mon matériel photographique…



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NIPPON 2011

À cette période j’ai finalement pris conscience que mes 10 années de photographie de pub avait eu raison de moi. Le constat était simple : l’acte photographique n’avait plus de sens. Je finissais même par en être dégoûté. Je n’étais pas guidé par l’aigreur mais submergé par la tristesse.

Le 11 mars 2011, j’apprenais la terrible nouvelle : le Japon venait d’être frappé par le pire séisme jamais enregistré par les sismologues, suivi d’un tsunami gigantesque. Le 13 mars, un réacteur de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi explosait. J’étais anéanti par ces nouvelles plus dramatiques les unes que les autres. En 2008, après mon premier séjour au Japon, où je m’étais rendu pour réaliser la série Budoka No Kokoro avec un ami, Léo Tamaki, j’avais juré que j’y retournerai. En Juin 2011, une opportunité financière se présentait. Je décidais alors de partir au Japon pour plusieurs mois. J’avais besoin de voir ce qui se passait là-bas, de prendre du temps pour réfléchir et aussi et surtout de redonner du sens à mon existence, retrouver le goût de faire des photographies sans contrainte. Très vite je prenais la décision de faire ce voyage à vélo.

Je partis finalement le 8 octobre avec mon vélo, mon Mamiya RZ67 Pro II et une centaine de films Tri-X. J’allais parcourir les routes du Japon du nord de Hokkaido jusqu’à Fukushima en passant par les zones sinistrées par le tsunami. J’allais rester quelques jours à Tokyo puis passer une semaine à Tottori avant de reprendre un avion à Osaka pour Paris.



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Qu’est-ce que ton voyage t’a apporté ? Humainement et photographiquement ?

D’avoir pu faire ce voyage de 3 mois à vélo au Japon a été jusqu’à présent ma plus belle expérience de vie. Ce que j’ai vécu, je le souhaite à tout le monde. Zéro contrainte. Une liberté excitante même dans l’adversité !



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Il faut savoir que je n’avais jamais voyagé à vélo et que ce fût parfois physiquement difficile. Malgré tout à aucun moment je n’ai flanché car le bonheur d’être là écrasait tout sentiment négatif. Rien ne pouvait m’arriver. Rien ne pouvait m’atteindre car j’étais libre ! Chaque jour passé sur les routes nipponnes me prouvait que ce voyage était essentiel pour ma vie future. L’acte photographique me redonnait enfin confiance !

Je retrouvais le goût de cadrer, d’appuyer sur le déclencheur, de chercher, de jouer avec la lumière, de mettre du film dans mon appareil, de ne plus avoir le réflexe de chercher un écran sur le dos de mon appareil pour voir un résultat immédiat. Le soir, je repensais les images que j’avais shootées les jours précédents. Ces images mentales s’accumulaient dans mon cerveau et petit à petit, la cohérence de ce travail photographique prenait corps et sens. J’avais presque l’impression de vivre hors du temps. J’étais heureux et rien ni personne ne pouvait m’empêcher de l’être. Je redevenais photographe !



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Enfin ! Quel bonheur de ne plus avoir à plaire ou bien à rendre des comptes à un client ! Je photographiais tous les jours pendant 3 mois, chose que je n’avais jamais fait en 18 ans de photographie. J’ai vécu ce voyage comme une renaissance photographique. Et puis quelle leçon de vie ! Je ne peux que retenir tous ces instants de rencontre parfois furtives mais intenses. Le premier mois passé à Hokkaido fut très « reposant », le rythme de vie est loin du stress urbain. La nature omniprésente apaise. Quand j’ai quitté Hokkaido pour Honshu les choses ont quelque peu changées.



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Les premiers jours passés dans les zones sinistrées ont été de vrais chocs. L’émotion était très forte. Les rencontres avec la population directement touchée par le tsunami resteront gravées à jamais. A Fukushima une nouvelle expérience m’attendait. En effet courant novembre j’ai croisé un reporter de la chaîne de télévision nationale japonaise : la NHK.

Impressionné de trouver un Français sur un vélo à 12000 kms de chez lui, Jun m’a proposé de réaliser un reportage sur mon passage dans la préfecture de Fukushima (visible ici :
http://cgi4.nhk.or.jp/eco-channel/jp/movie/play.cgi?movie=j_ohayou_20111213_1603 ). Ne parlant pas japonais, la rencontre avec Jun Onozawa fut une vraie chance pour moi car j’ai pu passer du temps et discuter avec des personnes directement touchées par la catastrophe nucléaire de Fukushima. Pendant 4 jours lui et son équipe m’ont suivi alors que j’allais à la rencontre de personnes vivants dans les zones contaminées par la radioactivité. En étant sur place, j’ai pu comprendre en partie ce que vivaient les populations. J’ai pris conscience du réel danger du nucléaire.


Comment vis-tu ton retour ?

Ayant décidé pendant mon voyage de faire un livre de ce nouveau travail photographique, mon retour en France n’en était pas vraiment un ! Les premiers mois de l’année 2012, je restais mentalement, artistiquement au Japon. J’essayais autant que possible de garder l’énergie positive qui m’avait nourri pendant 3 mois. Je mettais en ligne les articles sur mon blog : www.90daysinjapan.com afin de partager mon expérience avec mes ami(e)s et les amoureux du Japon, je travaillais aux différentes étapes de préparation de l’impression de mon livre 日本 2011 (Japon 2011) que j’ai tout de suite décidé d’auto-éditer.



Que raconte ton livre ? Qu’est-ce qu’il signifie pour toi ?

日本 2011 est une étude photographique de la nature au Japon. Le postulat de départ est de montrer quelle place la nature a et prend sur le territoire nippon, montrer ce qu’elle offre, montrer ce qu’elle reprend quand elle se manifeste violemment. En allant à Fukushima, j’ai voulu montrer quel impact pouvait avoir les conséquences d’un accident nucléaire sur la nature et les hommes, 9 mois après l’explosion. J’ai aussi voulu montrer quelle place avait la nature en milieu urbain en photographiant Tokyo. Pour conclure, je suis allé faire des photos dans les dunes de sable de Tottori. A la fois pour rendre hommage à l’un des plus grands photographes japonais, Shoji Ueda et aussi pour utiliser ce « désert » de sable comme le symbole d’une Terre qui finira par ne plus rien nous offrir si nous continuons de la maltraiter.

A mon retour j’ai gracieusement obtenu le soutien de Jean-François Sabouret (Directeur de Recherche au CNRS, grand spécialiste du Japon), Ellen Diectrich (Rédacteur en Chef du service photo de DIE ZEIT) et Wataru Iwata (Fondateur de l’association CRMS à Fukushima City) qui m’ont écrit des textes pour illustrer mes images. Ce livre est l’aboutissement d’un voyage mais aussi le « bébé » de ma renaissance photographique. Et ce bébé fut difficile à mettre au monde ! Alors que le livre devait être disponible en avril, des problèmes de façonnage ont retardé sa sortie.

日本 2011 sera disponible début août 2012 sur mon site www.frederickcarnet.com (mais on peut déjà le pré-acheter) ou bien en librairies en septembre (liste des librairies disponible sur mon site courant septembre 2012). Et si le livre a du succès, ce que j’espère sincèrement, je réinvestirais dans un prochain voyage auquel je rêve chaque jour, durant lequel je réaliserais un nouveau travail photographique…en espérant accoucher d’un 2ème bébé ! Rendez-vous en mai 2013 pour le départ. In chā’ Allāh.



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Comment envisages-tu ton métier de photographe maintenant, après ton voyage au Japon ?

A l’heure actuelle, je n’ai plus la prétention de vouloir me dire photographe « professionnel ». Je l’ai été pendant 15 ans. Là, je ne suis plus dans la dynamique de gagner ma vie grâce à mes images. Si c’est le cas, tant mieux mais je ne ferai plus de photographies sous la contrainte. Je pense que mon travail de photographe commercial est bel et bien derrière moi. Mon seul désir est de vivre le plus paisiblement possible en réalisant une série tout les 2 ou 3 ans. Je vais me concentrer les prochains mois à faire la promotion de NIPPON 2011. Je suis en train de mettre en place une série d’expositions de rue (voir la première ici : http://www.90daysinjapan.com/article-expositions-de-rue-107025093.html).

Je trouve ça plutôt drôle de me trouver face un mur avec mon paquet d’images, mon seau de colle à papier peint et ma brosse à encoller ! Des expositions sans argent, sans budget mais qui je l’espère toucheront le maximum de spectateurs. Je ne manquerai pas de donner les lieux sur mon blog une fois les photos collées ! 🙂