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Le premier reportage-vérité sur la drogue

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Les visées propagandistes des reportages photographiques les éloignent souvent de ce qu’on pourrait appeler la photo-réalité. Et la question de la drogue a souvent été abordée avec un angle moralisateur. Mais dans le numéro du magazine Life du 26 février 1965, alors que l’actualité est pourtant dominée par l’engagement des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam, un reportage impose une vision sans concession : la vie au jour le jour d’un couple d’héroïnomanes. « We are animals in a world no one knows », signé Bill Eppridge.



Bill Epperidge

« Nous sommes des animaux dans un monde que personne ne connaît. » La drogue, et plus particulièrement l’héroïne, est pourtant un phénomène bien connu aux Etats-Unis. Depuis le début du siècle, elle supplante progressivement l’opium et il a même été question de l’utiliser médicalement à la place de la morphine. En 1965, les estimations portent sur cinquante à soixante mille usagers dans le pays. Et l’héroïne s’est incrustée dans les milieux de la création artistique : la majorité des jazzmen sont « accros ». Dans les médias soumis à la censure, le problème ne peut être traité que de façon allusive : le film d’Otto Preminger, « l’Homme au bras d’or » (sorti en 1955, avec Frank Sinatra dans le rôle titre) traite la question avec une pudeur toute hollywoodienne.



Life Magazine

Mais en 1965, alors que ses enfants tombent dans cette guerre lointaine, au Vietnam, l’Amérique est prête à regarder les choses en face. Le couple de drogués choisi pour illustrer le reportage de Bill Eppridge (un des plus réguliers reporters de Life) échappe à tous les stéréotypes : ils sont blancs et appartiennent à la classe moyenne. Ici, la drogue prend place au sein d’une vie de couple, bien loin du modèle de la famille américaine traditionnelle. Dans une ambiance de film noir, le photographe documente tous les instants de leur vie. Ni censure ni allusion pudique, mais un regard à nu, immergé dans le quotidien le plus cru.



Bill Epperidge, Life Magazine

Ce modèle de reportage en images n’est pas neuf. C’est le photographe Eugene Smith qui le popularise avec ses séries les plus célèbres : le médecin de campagne (1948), le village espagnol (1951), la sage-femme (1951). En anglais, on appelle ça la « picture-story » ; en français, l’essai photographique. Mais là où Eugene Smith met en scène ses photos et glorifie son sujet par une lumière qui le dramatise, Bill Eppridge s’engage dans un photo-réalisme sans concession. Objectif de l’appareil au plus près des visages et des regards. Gros plan sur l’aiguille de la seringue qui pénètre la chair du bras. Prise de vue au grand angle pour embrasser toute une scène dans un espace exigu (la cellule de la prison). Et surtout ce travail en séquences qui reconstitue les étapes d’un dialogue au coin d’une rue, ou nous fait vivre la durée d’un trip proche de l’overdose.

En huit double-pages, ce numéro de Life fait partager à ses lecteurs une réalité aussi inconnue que poignante. L’Amérique ouvre les yeux : quatre ans plus tard, Richard Nixon, pourtant en pleine guerre froide, désignera l’héroïne comme l’ennemi numéro 1 des Etats-Unis. La photographie a agi.



Bill Epperidge, Life Magazine


Bill Epperidge, Life Magazine


Bill Epperidge, Life Magazine


Bill Epperidge, Life Magazine


Bill Epperidge, Life Magazine


Bill Epperidge, Life Magazine


Bill Epperidge, Life Magazine

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