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Larissa Sansour, palestinaute et artiste

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Larissa Sansour

À la foire Unseen d’Amsterdam, on retrouve deux types d’artistes : les photographes émergents et les photographes dont le travail n’a pas été remarqué sur le sol néerlandais. C’est ainsi qu’on retrouve, entre deux murs, le travail remarqué et contesté de Larissa Sansour, artiste palestinienne.

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Née à Bethlehem et résidant à Londres, Larissa traite avec humour et ironie la question du territoire palestinien. Que ce soit dans « Space Exodus » ou dans « Nation Estate », qui lui vaudra son éviction du prix Lacoste du musée de l’Elysée de Lausanne, elle interroge une situation géopolitique et la tourne en dérision. À Unseen, nous avons rencontré Sabrina Amrani, directrice de la galerie du même nom, qui travaille avec l’artiste palestinienne depuis quelques temps. Quel regard porte-t-elle sur l’œuvre de Larissa ? Comment vendre des œuvres chargées de sens politique ? Rencontre.

Age13 : Comment définiriez-vous l’œuvre de Larissa Sansour ?
Sabrina Amrani : Le travail de Larissa Sansour est évidemment marqué par son appartenance au peuple palestinien et ce sentiment qu’elle a de vivre dans une autre réalité. On lui renie une terre, une culture, une identité, et cela influence profondément son travail. Elle a toujours travaillé sur la fiction en s’inspirant du comic et de la science fiction. Le projet « Space Exodus », entamé en 2009, constitue un véritable acte fondateur dans le travail de Larissa. Cette vidéo d’une femme palestinaute plantant le drapeau palestinien est tellement drôle, absurde et pertinente ! La Palestine n’a absolument aucun moyen, aujourd’hui, de faire un voyage sur la Lune. Pourtant, cette vidéo porte un vrai message d’espoir : quand la femme palestinaute, jouée par Larissa elle-même, plante le drapeau sur la Lune, elle saute de joie et se perd ensuite dans l’espace, dans l’oubli… Plus tard, « Nation Estate » (travail réalisé dans le cadre de la résidence au musée de l’Elysée de Lausanne, ndlr) est un projet un peu plus acide et plus cru, que ce soit dans l’esthétique ou dans le propos. Ce qui intéressant, à mes yeux, dans le travail de Larissa, c’est sa façon de traiter la condition du peuple palestinien avec beaucoup d’humour. Elle ne traite jamais la question de façon frontale et politique, mais plutôt d’un point de vue humain.

Age13 : Pourquoi avez-vous décidé de défendre son travail ?
Sabrina Amrani : D’abord parce que je trouve que son travail est d’une qualité extraordinaire. Ensuite, notre galerie travaille principalement avec des artistes du Moyen Orient, du nord de l’Afrique et du sud de l’Asie et pour nous, diffuser Larissa, c’est donner la possibilité à un artiste palestinien de s’exprimer, surtout en Espagne où l’on est vraiment la seule galerie à travailler avec ces artistes.

Age13 : Est-ce difficile de vendre des images qui ont un propos politique ?
Sabrina Amrani : En effet, dans le cadre de l’œuvre de Larissa, l’esthétique est vraiment quelque chose de secondaire. Le propos prime sur tous les autres aspects. Les collectionneurs qui s’intéressent à son travail ont forcément une connaissance de la situation politique et sociale des palestiniens.

Age13 : Acheter une de ses œuvres est donc un acte d’engagement ?
Sabrina Amrani : Oui.

 

« Nation Estate », retour sur l’affaire Lacoste

En novembre dernier 2011, Larissa Sansour participe au Prix Lacoste-Elysée. Elle est sélectionnée avec sept autres finalistes. Mais, en janvier 2012 Lacoste décide d’annuler sa nomination. Le travail de Larissa Sansour ne répondrait pas, selon eux, au thème du prix : « la joie de vivre ». L’artiste se défend en clamant publiquement que son travail a été écarté car jugé trop « pro-palestinien » par les représentants de la grande marque de vêtements. Le musée de l’Elysée de Lausanne la soutient. Véritable cas de censure, cette affaire pose la question du rôle du mécène dans la création artistique. A-t-il le droit de s’immiscer dans le propos de l’artiste ? Depuis, Larissa a exposé « Nation Estate » à Paris à la galerie Anne de Villepoix et est diffusée à échelle internationale. Our Age Is Thirteen avait interviewé l’artiste en janvier 2012. Voici comment elle présentait son travail et l’affaire Lacoste.

Age13 : Pouvez-vous présenter le projet que vous avez soumis au Prix Elysée-Lacoste ?
Larissa Sansour : Le projet Nation Estate est une série de photographies de science fiction réalisées autour du thème de la candidature palestinienne à l’ONU. J’ai développé 3 mini scénarios spécialement pour le prix Lacoste-Elysée. Cette série photo, me mettant en scène dans un immeuble moderne lugubre, représentent et évoquent la « joie de vivre » d’un état palestinien naissant des cendres du processus de paix. Dans cette vision dystopique, les palestiniens ont un état en forme de gratte-ciel – l’Etat Nation. Entourée d’un mur de béton, cette grande tour abrite toute la population palestinienne qui mène enfin la grande vie dont elle rêvait. Chaque ville a son propre étage : Jérusalem est au 3ème, Ramallah au 4ème. Les trajets entre les différentes villes, auparavant perturbés par des points de contrôle, peuvent maintenant se faire par ascenseur.

Age13 : En quoi ce projet répond au thème « la joie de vivre » ?
Larissa Sansour : Depuis le début, les organisateurs du prix ont souligné le fait que les 8 artistes nominés avaient une liberté totale sur l’interprétation de l’expression « la joie de vivre ». Ils nous ont même encouragé à avoir un regard ironique sur le thème proposé. Dans mes 3 photos, je montre une vision dystopique d’un Etat. Et, pour beaucoup de palestiniens, « la joie de vivre » serait d’avoir leur propre Etat.

Age13 : Comment votre travail a-t-il été reçu ?
Larissa Sansour : Après avoir réalisé et envoyé mes trois photographies en novembre dernier, je n’ai reçu que des éloges sur mon travail et mon professionnalisme a souvent été souligné par les organisateurs du prix. Personne, à aucun moment, n’a évoqué un problème d’interprétation dans le travail que j’ai proposé par rapport au thème donné.

Age13 : Quelle a été votre première réaction quand vous avez appris que vous étiez écartée du prix Lacoste-Elysée ?
Larissa Sansour : Malheureusement, ça ne m’a pas surpris. En tant qu’artiste palestinienne, ce n’est pas la première fois que mon travail subit de lourdes pressions à cause des propos politiques que je défends. Quand j’ai su que j’étais nominée pour le prix Lacoste-Elysée, j’ai d’abord pensé qu’une grande marque de vêtement défendant mon travail était un scénario trop beau pour être vrai. Il se trouve que j’avais raison.

Age13 : Pourquoi avez-vous été écartée du prix ?
Larissa Sansour : Le directeur du musée de l’Elysée m’a dit au téléphone que Lacoste trouvait mon travail trop « pro-palestinien » pour qu’ils acceptent de le soutenir. Plus tard, c’est bien la nature politique de mon travail qui a été mentionnée afin de justifier mon éviction du prix.

Age13 : Pourquoi une marque de vêtement ne peut-elle soutenir un travail artistique « pro-palestinien » ?
Larissa Sansour : J’aimerais bien connaître la réponse à cette question. Je ne trouve aucune explication. Cette situation est très frustrante. Cette année, les Palestiniens ont demandé une adhésion à l’ONU, et pourtant, la question palestinienne reste taboue.

Age13 : Comment le musée de l’Elysée a-t-il réagi ?
Larissa Sansour : Au début, ils ont accepté la décision de Lacoste de m’écarter du prix, tout en désapprouvant leur choix. Le musée m’a ainsi proposé de faire une exposition en dehors du cadre du prix Lacoste. C’était pour eux une manière de montrer leur soutien envers mon travail. Mais j’ai vite compris que je devais aussi taire les raisons de mon éviction, ainsi que la frustration que j’éprouvais vis-à-vis de Lacoste. C’était pour moi inacceptable. J’ai alors rendu l’affaire publique et le musée a décidé de me soutenir plutôt que de se ranger aux côtés de Lacoste. Ils ont annulé l’exposition ainsi que leur partenariat avec la marque.

Age13 : Quelle est votre conclusion ?
Larissa Sansour : Je pense qu’une grande entreprise a beaucoup à apprendre avant de s’engager en tant que mécène dans les arts. Aussi, le fait que le musée de l’Elysée m’ait soutenu constitue une petite victoire pour la liberté artistique.

Age13 : Quelles sont les règles qu’un mécène doit respecter vis-à-vis d’un artiste ?
Larissa Sansour : La liberté artistique est une chose non négociable. Un mécène ne doit pas entraver cette liberté fondamentale, et ce sous aucun prétexte. Si une entreprise ou un particulier décide d’être mécène, c’est une condition qu’il doit pleinement accepter et assumer.

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Larissa Sansour

Larissa Sansour, Space Exodus

Larissa Sansour, a Space Exodus

Larissa Sansour, Space Exodus

Larissa Sansour, Space Exodus

Larissa Sansour, Nation Estate

Larissa Sansour, Nation Estate

Larissa Sansour, Nation Estate

Larissa Sansour, Nation Estate

Larissa Sansour, Nation Estate

Larissa Sansour, Nation Estate

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