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Rafa Raigon joue avec la photographie comme il jouait sur scène

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Rafa Raigon est un photographe espagnol. Il arrive il y a cinq ans à Berlin, en tant que comédien. Nouveau venu dans un pays où la langue lui est étrangère, il abandonne le théâtre et trouve en la photographie sa nouvelle compagne de vie. Exposé durant le Mois de la Photo OFF à Berlin, il présente dans sa galerie son premier grand projet, « Los Guardacasetas ».

| Par Nathalie Hof, toutes les images © Rafa Raigon.



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Cet article fait partie du dossier : Mois de la Photo, et si on faisait un tour à Berlin ?

Tous les ans à la belle saison, chaque ville d’Espagne accueille sa propre fête locale : la « Feria ». Une semaine durant, habitants et visiteurs vivent au rythme de la musique, des courses de taureaux et des bains de foule. Il y a 2 ans, Rafa Raigon est venu 10 jours avant tout le monde. C’est un autre monde qu’il y a alors découvert : celui de ces hommes invisibles qui organisent les festivités. Ou peut-être est-ce Rafa qui, dans ses photographies, crée ce monde parallèle où ces hommes, qui ne sont pour ainsi dire « personne », deviennent « quelqu’un ».

Rafa Raigon joue avec la photographie comme il jouait sur la scène : de la réalisation des images à l’exposition finale, la seule chose qui l’intéresse vraiment, c’est le processus. La photographie doit pouvoir rester continuellement vivante, en acte : que ce soit de par les expériences et rencontres qui se cachent derrière tout projet que par l’invitation faite au spectateur d’être actif devant les images. En s’écartant toujours plus du style documentaire, il incite nos regards à créer de nouvelles connexions entre les choses et à bâtir des univers parallèles.



Comment es-tu devenu photographe ?

J’étais comédien en Espagne. Mais quand, pour des raisons personnelles, je me suis installé à Berlin, je ne pouvais plus faire de théâtre car mon allemand était encore pire que maintenant (rires). Au même moment, ma première fille est née et j’ai acheté un appareil photo. J’ai commencé à prendre des photos de mon, puis de mes, enfant(s). Très vite, j’ai voulu aller plus loin, j’ai eu disons une « autre vision » de la photographie. Je n’étais alors plus seulement ce père qui prenait ses enfants en photo, mais un homme qui, tout en étant père, voulait exprimer ses idées par la photographie. C’était il y a 5 ans.

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Comment est née cette série sur la Feria de Cordoba ?

Au début, j’étais juste allé à la Feria de Cordoba pour m’amuser, comme je le fais depuis 38 ans… Mais en 2013, j’y ai fait de nombreuses photographies et rencontré beaucoup de nouvelles personnes. J’y suis donc retourné l’année suivante, au mois de mai, et je les ai à nouveau photographié. En « jouant » ensuite avec mes photos sur l’ordinateur, je me suis aperçu que je tenais quelque chose d’intéressant.

Qu’est-ce qui était intéressant pour toi dans cette série ?

Les gens et le moment que j’avais choisi pour réaliser ces images : je n’ai pas photographié les festivités mais leur organisation. Je suis venu 10 jours avant le début des Feria pour suivre ceux qui y travaillent. Il n’y a alors personne sauf eux. Depuis que je suis né, je suis toujours allé à la Feria de Cordoba. Et l’année dernière, j’en découvert ce qui se passait concrètement durant sa préparation, surtout la nuit. J’ai fait la fête avec eux. Lors des festivités, cette centaine de personnes reste toute la journée à surveiller. Ils ne font pour ainsi dire rien, on ne le remarque même pas. Ils me demandaient toujours de venir prendre des photos car ils s’ennuyaient. Il y a vraiment un contraste entre la Feria et ce qui se passe avant et que l’on imagine que difficilement. J’ai voulu capter cette Feria seulement peuplée de ces quelques 100 hommes. Certaines de ces personnes ont fait de la prison ou sont considérées comme « peu recommandables », mais ici ça n’avait plus d’importance.



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J’en connaissais certains depuis l’enfance, mais de façon superficielle. On avait juste grandi dans la même ville et en même temps. Lors de ces moments récents passés ensemble où je les photographiais, ils sont devenus des amis. Je pense que ce qui est important, pour tout photographe, ce n’est pas tant les photos, le résultat final, que le processus. Notamment celui de construire des relations avec les personnes que l’on photographie. La photographie instaure des tas d’échanges : ça peut simplement être le fait de rester quatre heures assis avec elles dans le canapé, une bière à la main, et juste parler…



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Un photographe prend des photos car il doit en prendre. Quand j’ai dû arrêté le théâtre, j’ai découvert cette nouvelle langue qu’est la photographie. Ce processus qui amène à l’image, pour moi, c’est avant tout un jeu. C’est lui qui, comme au théâtre, compte vraiment. La pièce de théâtre peut être bonne ou mauvaise, elle reste toujours en acte. La photographie et le théâtre ont finalement beaucoup de similitudes.

Maintenant, je vois la photographie comme une nécessité pour moi : qu’est-ce que je ferais si je n’en faisais pas ? Je ne me verrais pas faire de la peinture par exemple. Parce que la photo, c’est un acte : il y a d’abord le processus qui amène à réaliser les images, puis le fait de les faire jouer ensemble pour découvrir de nouvelles associations visuelles, de nouvelles idées. J’ai beaucoup de photos éparses sur mon ordinateur : j’essaie de créer des liens entre elles, de créer de nouvelles possibilités. Le résultat, le tirage encadré, finalement c’est le moins important.



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On remarque que tes photos deviennent toujours plus abstraites et que tes plus récentes sont présentées par pair où l’une répond à l’autre. Est-ce pour rendre notre regard plus actif ?

Je n’ai pas étudié la photographie, contrairement aux personnes que je connais en Espagne et qui pratiquent depuis une quinzaine d’années au moins. Je les ai vu passé d’une photographie très documentaire à une photographie documentaire certes, mais où la présence du photographe était très présente. On voit que c’est avant tout une photo, et non la réalité. Certes la photographie est réelle, mais au final ce n’est qu’un papier : ce que l’on y voit, c’est Berlin par exemple, mais ça pourrait être l’Amazonie ou un autre lieu encore. Si l’on ne met pas de légende ou qu’on la transforme, on peut facilement faire dire autre chose à une photo.



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Dans la présentation de ton projet, tu parles d’univers parallèles…

C’est ce que je veux faire avec ce projet. Au début, je t’ai dit que cette pré-Feria était comme un autre monde. En continuant à photographier, j’ai découvert plus de « signaux », des marques dans mes photos. Et là je me suis dit « Ce que je vois là, ce n’est pas comme un autre monde, c’est précisément un autre monde. » Ce n’est pas (seulement) la Feria, Cordoba, une idée, mais un autre univers. Je me suis en même temps informé sur internet de ce qu’étaient ces univers parallèles. Et c’est là que j’ai compris ce que je voulais montrer : je ne photographie pas ces gens, enfin, je photographie ces personnes, mais l’action de les photographier fait que, dans les images, elles appartiennent à un autre monde.



… Il existe notre univers, et sur les photos, celui construit par la photographie, en est un autre ?

Oui, on peut le comprendre comme ça (rires). La photo originale est en couleur, une photo documentaire complètement « normale ». C’est par la prise de vue et la post-production que je vais faire advenir cet autre univers.

L’univers parallèle est pour moi une métaphore sur ces personnes. Je ne veux pas en parler d’une façon purement documentaire où, face aux photos, on finirait par se dire « oh regarde ces pauvres gens, ils n’ont pas de travail et s’en trouve réduit à travailler ici » et où la compassion qu’on aurait pour eux serait toujours entachée de leur passé. Ce qu’ils ont pu faire il y a 20 ans, lorsqu’ils volaient des voitures ou achetaient de l’héroïne, ce n’est plus si intéressant que ça finalement.



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Si mon travail restait simplement documentaire, le public n’aurait finalement rien à faire en regardant les photos. C’est important je pense d’être toujours au moins un minimum actif devant une image. Le spectateur doit aussi travailler.



Qu’est-ce qui t’inspire aujourd’hui ?

Les livres photos ; j’aimerais me diriger dans cette direction. Je trouve ce format particulièrement intéressant pour l’expression du langage photographique parce qu’il facilite ce regard actif sur les images : on peut naviguer entre les pages etc. En Espagne, on trouve vraiment de très bons livres photos.

J’ai également quelques autres idées pour la suite. Je réfléchis à un projet sur le thème des frontières, qu’elles soient physiques, géographiques ou encore corporelles, sexuelles et de genres. J’aimerais travailler sur la transexualité en créant des analogies entre ces différents types de frontières.


Pour aller plus loin :

– son site : rafaraigon.com
– son studio photo, qui, à l’occasion, se transforme en galerie : Rabenart.berlin


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