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Photo de une : Gerard Petrus Fieret Untitled (woman holding her hair in front of her face), ca. 1960 Deborah Bell Photographs


L’expo consacrée à Gérard Petrus Fieret qui vient de débuter au Bal, à Paris, pose des questions liées à un usage brut de la photographie. C’est Diane Dufour, la directrice du Bal, qui, lors de la présentation de l’exposition à la presse, a elle-même utilisé le terme de photo brute. Ces questions, nous les avons soulevées à deux reprises sur OAI13 : La photo peut-elle être un art brut ?, Comment rattacher une oeuvre photographique à l’art brut ?

Prenons donc ici l’exemple de celle de Fieret. Quelle(s) réception(s) peut-on en avoir aujourd’hui ?



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Autoportrait de Gerard Petrus Fieret . PHOTO: HEIRS OF G.P. FIERET/DEBORAH BELL PHOTOGRAPHS, NEW YORK


On retrouve avec Fieret une des conditions majeures pour être estampillé art brut : un certain arrière-monde de l’oeuvre. Celui d’une vie privée en marge de la société, d’un ego en équilibre instable (photos barrées par une énorme signature, tampon à son nom apposé en plusieurs endroits de la photo). A quoi s’ajoute une pratique artistique spontanée, dévorante, nécessaire.

Les oeuvres ? “bricolées” (tirages sur papier périmé, parfois solarisés, aux densités inégales, souillés de déjections de souris ou de pigeons). Bref, ce qu’on va appeler sans trop se mouiller une pratique singulière, un cas particulier difficile à situer dans l’histoire de l’art et de la photographie.



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Sans titre © Gerard P. Fieret


Mais quand on a dit tout ça (tout ça : c’est-à-dire, ce qu’il y a autour des photos), reste à parler de ce qu’il y a dans les photos. Et qu’y a-t-il dans les photos ? Des femmes, beaucoup de femmes, entières, en fragments, déshabillées un peu ou beaucoup (où l’on retrouve le thème obsessionnel de Miroslav Tichy, autre grande figure de cette photo brute). Un grand nombre d’autoportraits aussi : Fieret grimaçant ou posant avec ses modèles féminins. Quelques coins de rue, foule dans l’autobus, vitrines, vélos. Des photos rigolotes ou chargées d’érotisme, anodines, banales, parfois sublimes. Une pratique qui aujourd’hui passerait inaperçue si elle n’était soutenue par toute l’histoire de la vie de Fieret.



Gemeentemuseum Den Haag * Omschrijving -Titel - Obj.nr: Foto Gerard Fieret - 1010423 * In opdr. van: Vivien Entius * Datum opname: 21-3-2016 * J&M Zweerts Fotografie - www.zweerts.nl
Sans titre © Gerard P. Fieret, 1965-1975. Gemeentemuseum Den Haag, Courtesy Estate of Gerard Petrus Fieret


Alors, pourquoi Fieret ? Parce que ses photos sont les traces d’une vie qu’il fallait sauver de l’anonymat ? Pour donner à voir la pulsion érotique intérieure alors qu’aujourd’hui, nous sommes assaillis, dans notre environnement quotidien, par ses déclencheurs ? Qu’est-ce qui distingue l’amateur enfiévré de l’artiste qui utilise le médium pour élaborer un discours sur le monde ? Ce n’est certes pas la valeur documentaire (ni historique) des photos de Fieret qui nous retient. Pourquoi telle image, sur laquelle nous n’aurions peut-être pas même posé un regard si elle ne se fût pas trouvée dans un lieu d’exposition, se trouverait-elle transfigurée ? La vie privée de son auteur modifie-t-elle le contenu d’une image ?



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Sans titre © Gerard P. Fieret


Nous n’avons pas fini de nous débattre avec ces questions. Celles qui tournent autour de l’écart : écart entre une image lestée par une intention lisible ou disons, visible (je photographie ceci parce que je veux dire cela), et une image qui semble directe, premier degré (je photographie ceci simplement parce que je photographie ceci). On voudrait considérer que la première est plus évoluée, car relevant de l’élaboration d’un langage, mais est-ce vraiment une chose acquise ? Et n’est-ce pas un trait de notre époque que de surévaluer la capacité de la photo à communiquer ? Doit-on l’enfermer dans cette dimension ?



Gerard Fieret, collectie gemeentemuseum Den Haag, fotopapier
Sans titre © Gerard P. Fieret, 1965-1975. Gemeentemuseum Den Haag, Courtesy Estate of Gerard Petrus Fieret


Comment regarder alors les photos de Fieret ? Bouteilles à la mer (envoyées vers toutes ces femmes-modèles) ? Talismans personnels ? Jeux d’enfant ? Vivre devant l’appareil, vivre à travers l’appareil, vivre dans les images. Peut-être pas une enfance de l’art, mais une certaine enfance du regard. Un rapport au monde qui a des airs de paradis perdu.



« Gerard Petrus Fieret », au Bal du 26 mai au 28 août 2016
6, Impasse de la Défense
75018 – Paris
Métro Place de Clichy, lignes 2 et 13

Tarif plein : 5 €, tarif réduit : 4 €
Horaires : mercredi/vendredi 12H-20H, samedi 11H-20H, dimanche 11H-19H
nocturne le jeudi jusqu’à 22H
Fermé lundi et mardi