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Dans leur collaboration audiovisuelle « Arcology » Ryan McRyhew, aka Thug Entrancer, et Milton Melvin Croissant III, Buddy pour les intimes, nous souhaitent la bienvenue dans le Meilleur des Mondes version sonore et animation 3D : des sons futuristes et industriels et des visuels bousculant nos repères spatio-temporels en quatorze morceaux, une pochette d’album, deux clips et quelques live-set mêlant musique et performance visuelle.

Découverts lors du festival de musique expérimentale CTM de Berlin en février dernier, et rencontrés via Skype quelques mois plus tard, nous avons discuté des enjeux de leur monde un peu fou, de la manière dont ils travaillent ensemble, et du rapport qu’ils créent avec leur public lors de leurs performances.





« Une histoire dystopique comme celle développée dans « Arcology » est un moyen de simuler un avenir que nous ne souhaitons pas et d’essayer d’en tirer des leçons. » – Milton Melvin Croissant III

Un écosystème logé au creux d’un vaisseau spatial high tech, des individus reliés à des machines ou évoluant dans des réalités virtuelles, un univers rationalisé fonctionnant en autonomie grâce à des moyens technologiques décuplés : Thug Entrancer et Milton Melvin Croissant III nous donnent les sons et les images de leur propre « Arcology » (Arcologie en francais), « une société autonome existant sans aucune sorte d’influence extérieure. », pour reprendre les termes de Ryan. Cette idée de ville utopique sort tout droit de l’esprit de l’architecte italo-américain Paolo Soleri qui rêvait de créer une structure urbaine parfaite alliant écologie et architecture pour résoudre le problème de la congestion urbaine.

Mais celle présentée par les deux natifs de Denver, Etats-Unis, se rapproche plutôt de son versant sombre et high tech, celui imaginé par les écrivains de la culture cyberpunk, à l’instar de la mégastructure dépeinte dans la trilogie Sprawl de William Gibson. Ce qui les fascine dans la science-fiction, c’est la capacité qu’ont les artistes, musiciens et écrivains qui l’imaginent à créer des mondes flirtant avec le plausible, et ils ont voulu expérimenter cette liberté de création à leur tour.


Cette liberté créatrice, ils l’ont tous les deux acquis lors de leurs années actives au sein de la scène punk de Denver, leur ville natale, et de son idéologie Do It Yourself, puis appliquée aux logiciels de création par ordinateur : « en travaillant sur ce projet, nous nous demandions constamment ce que cela signifie que de créer notre propre univers : qu’est-ce qui fonctionne bien ? Comment fait-on pour le construire ? Et puis aussi : qu’est-ce que cela signifie que d’être un artiste ? Ces personnes connectées qui se trouvent à l’intérieur de ce monde, avec leurs machines, et que l’on voit dans la vidéo de « Ronin » en train de créer elles-mêmes des mondes, sont une manière de jouer avec l’idée de savoir où le monde existe : s’il se trouve autour de vous, ou juste dans votre tête. », nous raconte Milton. On pense alors à ce moment de la vidéo du morceau Curaga où une planète au sourire ironique se transforme en l’œil d’un homme connecté à des machines, et on se demande alors si ce monde est né de ses pensées ou s’il lui a été insufflé par les lunettes à réalité virtuelle qui lui barrent la vue (de 3:21 à 3:53 dans la vidéo ci-dessous).





Un monde crée de toute pièce donc, amplifié à l’extrême, et ce pour mieux « anticiper la manière dont la technologie fonctionne au sein de l’humanité, continue Milton. Nous vivons dans une société où la technologie nous entoure de manière extrême en permanence. La science-fiction est une manière de jouer d’autres histoires qui nous permettent de déconstruire notre situation politique et technologique. Une histoire dystopique comme celle développée dans « Arcology » est un moyen de simuler un avenir que nous ne souhaitons pas et d’essayer d’en tirer des leçons. »

Et c’est justement cela que renforce le live-set. L’expérience du live permet de « faire un voyage dans ce que nous avons créé » (Ryan) : les clubbeurs y assistant (au Worm à Rotterdam, au Berghain lors du CTM à Berlin) se retrouvent à danser devant un écran sur lequel défile essentiellement des lieux déserts, des objets, des machines et des humains ressemblant à des cyborgs. Seul le dernier tiers de « Ronin » (à partir de la minute 2:09 dans la vidéo ci-dessous) nous plonge dans un club aux figures essentiellement anonymes et dont les seules visibles dansent déconnectées de leur environnement, le regard plongé dans des lunettes à réalité virtuelle.





Résultat, un effet d’identification et à la clé, une invitation à nous plonger corps et âme dans la science-fiction. « Pour quelques heures, quelques minutes, vous pouvez vous sentir déliés de tout lien, de votre physique, de vos représentations politiques, de votre genre, de tout. », ajoute Ryan. À la différence des individus inventés par les deux artistes, c’est bien sans machines, avec nos cinq sens et entourés d’une foule encore à demi-visible que nous l’éprouvons. Mais ce qui se dessinait autour de nous lors de leur performance au Berghain, c’était bien une géographie sonore et visuelle de laquelle nous étions, de gré ou de force, les habitants : « J’ai juste envie que les gens jouissent d’eux-mêmes et du moment. De leur donner de l’énergie et de la ressentir en retour. Bref qu’ils vivent un moment spécial dans l’espace où ils se trouvent. », confie Ryan en guise de conclusion.



Pour aller plus loin, vous pouvez écouter « Arcology » sur le soundcloud de Thug Entrancer, visiter son site et celui de Milton Melvin Croissant III. Une vidéo de leur collaboration est aussi visible sur la chaine Youtube du label Software. « Arcology » est paru en mars 2016 sous le label Software.


Image de Une : capture d’écran de Ronin.