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Le 11 novembre 2016, Igor Pisuk est au fond de son lit, avec la fièvre, et une vraie grosse déprime. Il est polonais et vit en Suède. Trump vient de gagner les élections américaines et le PiS, le parti au pouvoir en Pologne, détruit méthodiquement les bases de la démocratie polonaise. La grosse déprime. Il regarde « American Splendor », la série autobiographique de Harvey Pekar, auteur de comics américain qui a passé sa vie à se raconter en BD.

C’est la révélation. Igor file tout droit à la bibliothèque et emprunte tous les comics de Harvey Pekar. Harvey écrivait les textes et griffonnait des esquisses que dessinaient plus proprement des dessinateurs pros. Pas de super héros, pas de fictions, mais des scènes réalistes et honnêtes du quotidien de l’auteur.

Igor a toujours voulu dessiner, l’occasion est parfaite.

Photographe qui s’est récemment fait connaître avec le sublime travail « Deceitful Reverence », Igor cadre dans « Dog Walker » son quotidien, découpe et scénarise, puis filtre pour transformer la photo en dessin, où il raconte son arrivée en Suède, sa rencontre avec Anders Petersen, un flottement permanent entre surréalisme, existentialisme et promenades canines, le mal d’un pays qui se désagrège. Le tout avec un humour grinçant, subtil et frontal à la fois, très polonais, qui permet de rester en contact avec une réalité à l’équilibre de plus en plus fragile, qui file entre les doigts et qu’on tente de retenir dans un cadre.

Un dog walker qui tient à la fois du péripatétitien ( « se promener » en grec ancien), comme étaient surnommés les adeptes d’Aristote, et du cynique de la tradition cynique en philosophie (« impudent, comme un chien », en grec ancien), qui, comme Diogène, adopte une attitude jubilatoire et subversive face à la vie et, menant une vie de chien, n’a pas peur de déranger l’ordre établi.




– Sors-toi les doigts du cul.





– Deadline –





– Je veux être un artiste.
– Je ne sais pas. Je peux travailler comme promeneur de chien, ou n’importe quoi d ‘autre.
– Parce que j’aime les chiens et que j’aime me promener.





– Mon ombre est plutôt sexy. –





– Chéri, ma maman vient pour le dîner, tu es encore tout nu ?
– Oui.





– ton humour polonais est vraiment désespéré.
– aha.
– je veux dire qu’il est sans espoir.
– aha.





– Des fois, je me réveille plus vieux de quelques années. Et ça reste comme ça. –





– Que cette année finisse enfin.
– Quoi ?
– Rien, je me souhaite une bonne année.





– Chérie, j’ai perdu dix kilos !
– Depuis quand ?
– Ça a commencé quand Trump a gagné et que le PiS a presque conduit mon pays à sa perte. Mon Dieu, ce que je voudrais être gros là tout de suite.





– Tu fais SDF sexy !





– Parle-moi de toi.
– Je travaille comme promeneur de chiens.
– Et tu veux être le retoucheur numérique de mes photos ?
– Exactement.





– Tu aimes les polonais ?
– Oui bien sûr.
– Mais pourquoi ?
– Ben, parce qu’ils sont tellement irrationnels…





– Un aigle ! Tu vois l’aigle ?
– La Pologne te manque ?
– Quelle Pologne ?





(Où est la touche d’enregistrement?)
– Prêt ?
(C’est forcément quelque part. Comment j’ai pu oublier ça ?)
– Moteur !
– Action !





– Igor, ton apparence m’est une insulte.





– J’adore la texture de ta peau.
– C’est de l’eczéma Igor.





– Est-ce qu’il n’y a que moi qui ait cette impression que tout le monde est en train de se déconnecter de la réalité ?
– De la quoi ?




Toutes les images, © Igor Pisuk. Son site Internet : igorpisuk.com. Pour suivre le projet, rendez-vous sur la page Facebook dogwalker.comics, et son sur compte Instagram @_dog_walker_.