Home Interview « Acheter des livres photo est un acte politique »

« Acheter des livres photo est un acte politique »

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Dans le cadre de cette semaine « Acheter de la photo, mais pour quoi faire ? », je cherchais un acheteur compulsif de livres photo. Après avoir posté un message Facebook, il a fallu moins de 5mn pour que le nom d’Annakarin Quinto soit cité au mois 5 ou 6 fois par différentes personnes. Je décide de la rencontrer. Deux jours plus tard, on se retrouve dans un café (son appartement est actuellement en travaux car elle y fait construire une bibliothèque). Elle a apporté une corbeille de livres. J’étais partie pour une interview d’une heure. Je suis repartie trois heures et un hamburger plus tard.


| Interview et images par Molly Benn



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Portrait d’Annakarin Quinto par Molly Benn



► ► ► Cet article fait partie du dossier : Acheter de la photo, mais pour quoi faire ?

OAI13 : Comment est né ton intérêt pour la photographie ?
Annakarin Quinto : Je suis photographe. Je cherchais un langage pour faire passer mes idées et je trouve que la photographie, tout comme le livre photographique, sont des moyens de se connecter au monde. En tant que photographe on entre en relation avec la chose ou la personne photographiée. En tant que lecteur ou acteur d’un livre, on entre en contact avec l’univers du photographe. On est constamment dans le lien. On est jamais enfermé dans une démarche esthétique.

Qu’est-ce qui fait que tu aimes un livre ?
Je viens d’un pays, l’Italie, où la presse photographique a eu un énorme impact. C’était un pays très pauvre avec un taux d’analphabétisme très élevé. Et en 1946, on passait subitement de la royauté à la démocratie. Il fallait trouver un moyen de communiquer avec le peuple. C’est dans ce contexte que la photographie a imprégné la connaissance, la transmission. J’aime ouvrir un livre et sentir que le langage s’exprime de la façon la plus fluide et précise possible. Les éléments qui participent de cette fluidité sont nombreux. Il y a bien sûr l’histoire et le choix des images, des critères inhérents à la photographie. Mais il y a aussi un certain nombre de critères liés au langage du livre photographique : le papier, la lourdeur, le langage de la page, la reliure. J’aime quand un livre me tombe des mains, c’est-à-dire que je ressens quelque chose de fort en l’ouvrant. Il m’arrive de ne pas comprendre ce qu’il me raconte, mais il me tombe des mains quand même.



acheter-livre-photo-07

acheter-livre-photo-06Ci dessus : Supernormal, un fanzine de gens normaux. Ici, le numéro parle de José Ramon, livreur. (si vous êtes curieux : duduadudua.blogspot.fr)


Est-ce que tu achètes plus de livre depuis que l’autoproduction s’est largement développée ?
Oui. Le développement de l’autoproduction de livre de photographie a fait une énorme différence pour moi. Jusqu’à il y a environ deux ans, je n’achetais quasiment pas de livres. Il m’arrivait de m’en procurer à la suite d’expositions qui m’avaient marquées, mais c’est tout. Un jour, j’ai découvert le Paris Photo Book Club. J’ai rencontré des gens qui font du livres photo, qui en collectionnent et qui sont très souvent photographes. Ce fut une révélation. J’ai commencé à acheter toutes sortes de livres, des autoproduits, des livres de maisons d’édition indépendantes. Et puis, vu que je n’ai pas un gros budget, je me suis aussi constituée une petite collection personnelle en allant chez Mona Lisait (à Paris, ndlr). J’y ai trouvé quelques perles.



acheter-livre-photo-01

acheter-livre-photo-02Ci dessus : Un livre sur le président américain John.F Kennedy et son assassinat.


Quelle est ta relation au quotidien avec ces livres photos ?
Ils sont toujours là. Ils m’accompagnent dans mon quotidien. En fonction de l’humeur du moment, de ce que je fais, je vais en piocher un. Avec le Paris Photo Book Club, on fait des réunions mensuelles où l’on doit ramener des livres en fonction d’une thématique. J’en ramène toujours trop… Ces livres sont mes compagnons. Je les lis très peu par contre. Je trouve qu’aujourd’hui on est très sollicité par la lecture et c’est très fatigant. Alors que le livre photo, sans être silencieux, il t’englobe dans un univers.

Tu veux dire quoi par « il t’englobe » ?
Tu es happé par l’univers du photographe, dans une fusion de forme et de fond. Ouvrir un livre photo, c’est comme aller au cinéma. Le livre photo est un un objet de cinéma immobile. Quand j’en ouvre un, c’est comme si je m’enfermais dans une pièce sombre et que je regardais un film ou un documentaire. Et puis, il est aussi le pendant d’un magazine. Il faut aller l’acheter. Dès le départ tu te places dans un acte volontaire qui exprime ton envie de t’informer. Acheter un livre photo est un acte politique. En terme de livres, je m’intéresse beaucoup à ceux qui abordent des thèmes comme les conséquences des guerres, la société de consommation, notre rapport à la nature. Donc si j’achète un livre sur ce thème, je suis dans un acte de curiosité sur notre monde d’aujourd’hui, et donc dans un acte politique.



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Mais pourquoi aller chercher dans un livre photo ce que tu devrais normalement voir dans la presse magazine ?
Je trouve le ton des magazines aujourd’hui un peu impersonnel, frivole. Je n’aime pas leur discours assez peu critique. Dans les livres photo, je trouve une liberté de ton inégalée. Aujourd’hui, un auteur peut faire un livre en toute liberté. Alors que dans un magazine, je sais que l’auteur est limité par un ensemble de contraintes liées à la presse. Et puis, le livre… c’est un objet qui reste. Il est l’affirmation d’un point de vue.



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acheter-livre-photo-17Ci-dessus : Neither de Kate Nolan, des portraits de femmes de Kaliningrad, près de la mer Baltique.



Site internet d’Annakarin : annakarinquinto.com

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