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Certaines photos sont soupçonnées d’être si gratuites que rien ne saurait les justifier, si ce n’est le désir de choquer. Parce qu’elles touchent à des valeurs jugées inattaquables, parce que le photographe semble ne pas être légitime pour traiter le sujet ou encore parce que l’oeuvre produite semble bien peu en rapport avec l’idée de l’art que se fait le grand public. Où placer le curseur, comment savoir où commence la provocation ?


Les Femen au Vatican
Les Femen au Vatican



Un gigantesque plug anal gonflable sur la place Vendôme, des caricatures religieuses publiées dans la presse, des réseaux sociaux qui voient circuler des photomontages érotiques mettant en images des corps de femme avec des visages d’enfants : la provocation est partout. A moins que ce ne soit nous qui croyions la voir partout. Une interprétation encouragée par la perméabilité des champs d’action de la photographie : art, reportage et communication. Les codes s’échangent, le soupçon s’insinue. Telle photo est-elle une œuvre d’art ou une publicité détournée ? Ne vise-t-elle qu’à scandaliser et faire le (bad) buzz ou a-t-elle un contenu autre que purement fonctionnel ?


Miley Cyrus
Miley Cyrus



La provoc’ comme stratégie médiatique : la chanteuse Miley Cyrus s’est autoproclamée reine de la provocation. Allumer un joint pendant un concert, se faire fouetter les fesses avec le drapeau mexicain (aïe, incident diplomatique), ou bien publier des photomontages (réalisés par ses fans) la représentant dans des positions très suggestives en ayant remplacé son visage par celui de ses photos d’enfance : pour Miley, le scandale, c’est de l’audience. Même si à bien y regarder de près, le tout est finalement peu subversif et aussi gonflé à l’hélium que le hot-dog géant contre lequel elle se frotte lascivement pendant ses shows.


Miley Cyrus, Baby Faces
Miley Cyrus, Baby Faces



En 2010, la ville de Palerme voit fleurir d’étranges affiches : un sinistre dictateur affublé d’un maquillage outré et d’un uniforme rose, complété par un brassard sur lequel un cœur a remplacé la croix gammée. Décalage et slogan ambigüe (Change de style, ne suis pas ton chef) : la marque de vêtements NewForm se place directement dans les pas d’Oliviero Toscani, le photographe à l’origine des campagnes publicitaires de Benetton. Générant toujours le même cycle infernal : scandales, interdictions et… Succès commercial ! Mais ici, il est facile de trancher et de dénoncer la provocation : volonté d’attirer l’attention, nécessité de créer une image anti-conformiste. L’impact de surprise lié à la photo capte un public conquis par l’irrévérence de l’image.


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Le jugement devient plus difficile quand la photo est réalisée par un artiste reconnu comme un des grands photographes contemporains. C’est le cas d’Andres Serrano quand il montre cette photo pour la première fois :


Andres Serrano, Piss Christ
Andres Serrano, Piss Christ



Un Christ en croix baignant dans une lumière rouge, sorte de vision extatique. Miracle. Oui, seulement voilà : l’œuvre s’intitule Piss Christ et l’artiste révèle que pour la prise de vue, il a plongé un crucifix en plastique dans un bac transparent rempli d’urine (la sienne) et de sang (on est moins sûr que ce soit le sien). Là, ça ne passe plus : les institutions catholiques s’étranglent, les intégristes vandalisent, Serrano se voit retirer quelques prix et subventions. Et accessoirement, sa notoriété décolle en flèche. Alors provoc’ ou œuvre d’art ?

Provocation : religion, sexe, enfance, sont autant de domaines de tensions potentielles. Encore plus sensibles si on les croise : sexe et enfance, c’est quasiment le tabou absolu. Si vous avez les moyens de financer un procès long et coûteux, nul doute que le sujet vous assurera une couverture médiatique et quelques échauffourées avec les ligues de vertu. Mais art aussi : la photo de Serrano a une vraie force esthétique et un contenu. Plonger l’image du Christ dans les fluides corporels, c’est remettre au premier plan sa dimension humaine. Un dieu-homme que des siècles d’iconographie religieuse n’ont cessé de désincarner. Une idée puissante et simple. Trop simple ?


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Car c’est souvent là le reproche majeur fait à l’artiste : l’œuvre est de la provoc’ car elle n’a pas demandé un important travail. Et de l’artiste, on attend de la sueur et des larmes. Si l’oeuvre n’est pas le résultat d’un processus long et difficile, c’est qu’elle est facile. Donc gratuite. Un raccourci un peu réducteur. Souvenons-nous des mots du peintre Jean Dubuffet qui revendiquait le droit de créer des œuvres avec hasard, fatigue et paresse.

L’année dernière, l’artiste Deborah De Robertis réalisait une performance impromptue en exhibant son sexe à l’aplomb du tableau de Gustave Courbet, l’origine du Monde. Une vidéo réjouissante à voir ici, après avoir désactivé le filtre parental. L’art oui, le réel non.


Capture d'écran extraite de la vidéo de Deborah de Robertis
Capture d’écran extraite de la vidéo de Deborah de Robertis



Partout on entend dire que nous sommes à l’ère de la photo facile : facile à faire techniquement et facile à penser. Vite postée, vite likée, vite partagée. On devrait donc alors être à l’ère de la provoc’ facile. Pourtant, entre les chatons et les selfies à peine osés, peu d’images provocantes sur les réseaux sociaux. Lesquels viennent d’ailleurs de bannir toute photo d’allaitement, ou bien laissant apparaître les poils ou les règles. En fait, la provocation ne correspond à aucun critère objectif : le curseur de chacun varie en fonction de son histoire personnelle et de son parcours socio-éducatif. Mais la censure travaille insidieusement pour décider à notre place. Demain, serons-nous encore libres de provoquer ?


Sean Dufrene
Sean Dufrene


Mise à jour du 23.04.15 : Comme souvent, un petit bonus à cette question depuis le profil Facebook de Bruno

Bonus à la question posée hier http://www.oai13.com/featured/photo-ou-commence-la-provoc/ : le problème avec la provoc',…

Posted by Bruno Dubreuil on jeudi 23 avril 2015



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Bruno Dubreuil enseigne la photographie au centre Verdier (Paris Xe) depuis 2000. Il se pose beaucoup de questions sur la photographie et y répond dans OAI13.

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