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Porno et érotisme au féminin : où sont les hommes ?

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Encore aujourd’hui, la majorité des films pornos et érotiques sont réalisés par et pour des hommes. Mais depuis plusieurs décennies, les femmes se placent de plus en plus sur ce marché, cherchant à proposer leur vision du sexe. Alors ? Qu’est-ce que ça donne ? Et bien force est de constater qu’on ne voit pas beaucoup d’hommes dans ces productions. En fait, l’érotisme au féminin, c’est surtout des images de femmes. Pourquoi donc photographEs et vidéastEs montrent-elles si peu d’hommes ? Enquête.


erika_must_XConfessions Vol.3Film stills « XConfessions Vol.3 » d’Erika Lust | Courtesy Erika Lust Films



► ► ► Cet article fait partie du dossier : Quand les femmes inventent les images de leur sexualité

Photos érotiques et films pornos : tout un champ de production d’images qui, jusqu’aux années 1970, a été quasi exclusivement investi par les hommes et qui continue encore à l’être aujourd’hui. Seulement, il y a ce petit nombre de femmes, toujours plus important, qui se dit qu’il faudrait bien que cela change. Ne voir que des femmes aux seins généreux et à la taille de guêpe réaliser les fantasmes de ces messieurs, ce n’est peut-être pas au goût de tout le monde… et sûrement pas des leurs.

Erika Lust, réalisatrice féministe de films porno, décrit le contenu actuel de la production mainstream en ces termes : « Les femmes doivent y apparaître d’une certaine manière (des bimbos aux gros seins, maquillées, sexy, avec des vêtements moulants), alors que les acteurs masculins reçoivent moins d’attention (ils peuvent être dégarnis, en surpoids, moins attractif). »

La femme doit y être séduisante pour plaire aux hommes. Pas très glorieux donc si on décide d’adopter le point de vue des femmes. Faut-il alors diaboliser ce type d’images ?

« La réponse au mauvais porno n’est pas de dire non au porno… Mais d’essayer de faire du meilleur porno. »

Cette phrase, devenue célèbre, de l’artiste féministe américaine Annie Sprinkle nous interpelle. Comme on est curieux, on s’est demandé ce qu’étaient ces nouvelles et meilleures formes d’érotisme réalisées par des femmes. On a regardé des vidéos, des portfolios… et on s’est demandé où étaient passés les hommes ? Oui, ils sont quasiment absents de ces réalisations.



Qui a répondu à nos questions ?

Erika Lust. Cette réalisatrice de films pornos suédoise est une des pionnières de la pornographie féministe. Elle a fondé, il y a environ 10 ans, sa propre société de production, Erika Lust Films, avec laquelle elle espère bien faire bouger les choses dans l’industrie du porno.

Marit Östberg. Réalisatrice et journaliste, Marit Östberg est avant tout une activiste féministe queer. Elle réalise des films pornos depuis 2009.

Justine Pluvinage est une vidéaste française. Avec Jo et Fuckin’ in Love, elle signe respectivement une vidéo expérimentale et un documentaire dans lesquels elle explore sa propre sexualité.


Des artistes féministes qui explorent la sexualité et le corps féminin

Quand dans les années 1980, de multiples mouvements féministes fleurissent, les activistes se retrouvent face à un constat : les photos et films érotiques sont truffés de stéréotypes dégradants et réducteurs portant atteintes à la liberté de la femme. Comment réagir à ces images ? Faut-il en faire la condamnation morale ? Une idée révoltante pour certaines de ces féministes : les femmes aussi sont constituées de désirs, de fantasmes et sont soucieuses de leur plaisir sexuel ! Non, il faut simplement se mettre à produire des films qui révèlent que les femmes ne définissent pas sexuellement en fonction des hommes et que leurs fantasmes n’appartiennent qu’à elles-mêmes.


eve_annie_sprinkle© Annie Sprinkle


Ces féministes, appelées féministes pro-sexes, ont non seulement revendiqué la liberté de pouvoir disposer librement de leur corps et de leur sexualité, mais aussi de pouvoir produire leurs propres images érotiques. Sexe, corps, plaisir, représentation pornographique : autant de notions devenus des objets politiques desquelles les femmes et minorités sexuelles se sont emparées pour opérer une « révolution sexuelle » dans laquelle la femme occupe le centre. Parmi ces artistes performeuses, vidéastes et photographes, principalement issues de minorités sexuelles, on compte Annie Sprinkle, Candice Royalle, Norma Jean Almodovar ou encore Claude Alexandre et Krista Beinstein.


Krista_beinstein_Grace_Of_DesireKrista Beinstein, « Grace Of Desire » | Courtesy Konkursbuch Verlag


Les photographes Claude Alexandre et Krista Beinstein ont ainsi exploré, chacune à leur manière, les limites de la sexualité des femmes, cherchant à expérimenter leurs corps jusqu’à leurs extrêmes. Fétichisme, travestissement, enveloppement et BDSM (Bondage, domination, sadisme, masochisme) sont autant de pratiques sexuelles qu’elles ont placées devant leur objectif. Le corps féminin apparaît comme libéré des représentations biaisées qui lui collent à la peau.

Claude Alexandre a notamment documenté les sous-cultures sexuelles dans le Paris des années 1970-1980.


Claude_alexandre_corps_obscurClaude Alexandre, « Corps obscur » | Courtesy Konkursbuch Verlag


Dans les photos de l’allemande Krista Beinstein, les femmes sont souvent seules, dans des positions d’affirmation de soi.


krista_beinstein_klitoride_extravaganzKrista Beinstein, « Klitoride extravaganz » | Courtesy Konkursbuch Verlag


Ces images érotiques sont majoritairement faites par et pour les femmes, trans, queer, lesbiennes sans prise en compte particulière d’un regard masculin. Il s’agit de prendre en photos des femmes qui ne sont pas seulement accompagnés d’hommes et qui s’affirment indépendamment du corps masculin : sexualité lesbienne, masturbation, investissement du BDSM et tout ce que cela génère comme nouvel usage du corps et invention de nouvelles pratiques.


Y a-t-il un érotisme pour tous au XXIème siècle ?

Ces femmes ont ouvert la voie à une nouvelle génération de femmes engagées qui ne proviennent pas forcément des milieux lesbiens et qui ne privilégient pas tant l’exploration des sexualités que l’idée d’en montrer une image authentique ancrée dans le quotidien et dans des parcours personnels de vie.





Lors d’une conférence TedX, la réalisatrice de film porno Erika Lust affirmait alors : Le temps est venu pour le porno de changer ! ». Pourquoi ? Elle nous explique :

« Je crois que la pornographie ne se réduit pas simplement à des films que l’on regarde pour prendre son pied ; c’est un discours sur la sexualité et sur le genre qui se reflète énormément sur nos vies. À une époque où une grande partie de l’ensemble des recherches sur Internet est dédiée au porno et où les jeunes gens y ont de plus en plus accès, nous avons la responsabilité de fournir une éducation pour une sexualité propre et positive et une éducation sur le genre. Si les femmes peuvent être équitablement représentées dans le porno, tout comme dans les médias et dans la politique, je crois que cela peut conduire, à plus grande échelle, à une meilleure égalité des sexes.»


life_love_lust_erika_lustFilm stills « Life, love, lust » d’Erika Lust | Courtesy Erika Lust Films


Les films de la suédoise sont à l’image de son affirmation : des scénarios qui racontent des histoires, avec des scènes de sexes réalistes, naturelles et qui explorent nos fantasmes au-delà de tout stéréotypes (les acteurs ne peuvent pas être confondus avec des poupées plastiques par exemple). Le plaisir est partagé, quelque soit le sexe :

« Bien que j’aime célébrer la forme féminine, je veux aussi voire des hommes plus attractifs et plus ouverts sexuellement dans le porno. Dans une de mes dernières prises de vue pour mon projet en cours XConfessions, nous avons tourné notre premier quatuor ! Deux hommes et deux femmes, explorant la bisexualité et la forme masculine plus que je ne l’avais jamais fait dans le passé ! »


erika_lust_XConfessions_Vol4Film stills « XConfessions Vol.4 » d’Erika Lust | Courtesy Erika Lust Films


C’est dans ce même esprit que la vidéaste française Justine Pluvinage a réalisé un court et un long-métrage lors d’un voyage à New-York au printemps 2011. Suite à une rupture avec l’homme avec lequel elle vient de passer neuf ans de sa vie, l’artiste décide de se rendre dans la capitale des Etats-Unis avec en tête, deux objectifs : « filmer et baiser ». Afin de pouvoir combiner les deux, elle décide de filmer sa propre vie sexuelle et les hommes avec qui elle entretient des relations éphémères. En parlant de Jo, elle raconte : « il y est aussi question de liberté, et cette notion est inaliénable de mon état de corps féminin. Jo est une affirmation : en tant que femme, j’ai le droit de coucher avec n’importe qui, même un inconnu, parce que j’en ai envie ; et cela peut même être nul, la capote peut craquer, l’orgasme manquer, je n’en serais pas plus coupable. Je suis libre d’aimer qui je veux. »


Jo_jpluvinageFilm stills « Jo » | Courtesy Justine Pluvinage


L’érotisme fait par des femmes, un genre encore avant tout lesbien, queer et féminin

Toujours est-il que lorsque l’on s’intéresse aujourd’hui à l’érotisme fait par des femmes, on parle finalement relativement peu d’hommes. À cela, il semble qu’il y ait une raison majeure : le mouvement pro-sexe s’est surtout développé dans les mouvements lesbiens et queer. La volonté de produire des images dans lesquelles ces personnes puissent se reconnaître s’ajoute à la revendication d’une meilleure représentation des sexualités minoritaires au sein de la société. La conscience que quelque chose doit changer dans l’imagerie érotique y est plus forte car ces minorités sexuelles en sont pratiquement absentes. Les représentations de l’homme, de l’hétérosexualité et de la sexualité gay les concernent finalement moins.


marit_östberg_dirty diaries_AuthorityFilm stills « Authority » de Marit Östberg pour les « Dirty Diaries » | © Marit Östberg


L’activiste féministe suédoise Marit Östberg nous raconte : « Je pense que ma première priorité sera toujours les femmes, trans* et les différents types de corps queer : mes amis et les différentes communautés queer auxquelles j’appartiens ». Elle nous explique pourquoi et comment elle en était venue à réaliser ce type de pornos :

À l’époque, « je faisais partie d’un mouvement militant pour les droits sexuels en Suède et je travaillais comme rédactrice en chef pour un magazine LGBT [ndlr. lesbien, gay, bi, trans]. En 2009, on m’a demandé de faire un porno pour la célèbre compilation porno Dirty Diaries, douze court-métrages pornos féministes faits par douze cinéastes, produits par Mia Engberg [ndlr. Réalistrice féministe] et financés par l’Institut Suédois. En faisant mon premier porno [ndlr. qui raconte l’histoire de deux femmes faisant l’amour de manière violente], j’ai découvert à quel point le féminisme était un outil de travail formidable, à quel point ce peut être puissant et valorisant de travailler avec les corps et les sexualité dans un film si on réussit à créer un espace sûr où les gens se sentent en sécurité et estimés. Alors j’ai continué. »

Ce à quoi elle ajoute pourtant : « Je viens tout juste de tourner mon premier film où différents types de corps masculins et féminins sont représentés et j’ai découvert que j’étais également intéressée à l’idée de faire quelque chose d’autre à propos des corps de (cis)hommes [ndlr. Hommes hétérosexuels, où le sexe et le genre correspondent] et leur sexualité. »

Ce film, intitulé « Hyena », questionne ensemble les sexualités de divers hommes et de femmes.


hyena_still_films_marit_ÖstebergFilm stills « Hyena » | © Marit Östberg


Que ce soit dans les images des photographes et vidéastes portées par une volonté de changer les représentations des femmes et des minorités sexuelles que dans celles des artistes qui, sur leur tumblr ou leur Diaries photos, célèbrent l’érotisme, la figure dominante semble bien être celle de la femme. Erika Lust nous explique : « L’imagerie érotique masculine est beaucoup plus important dans l’art gay et bisexuel ; une imagerie faite par les hommes et pour les hommes. ». Ce à quoi elle ajoute : « Mais je crois que c’est quelque chose qui vaut la peine d’essayer de changer. Les femmes veulent représenter ce qu’elles trouvent de sexuel chez les hommes, comme photographier leur amant dans le lit et capturer une tendresse. Et je pense que cela se produira de plus en plus car les femmes deviennent de plus en plus ouvertes sur la sexualité et de plus en plus sûr d’elles-mêmes en tant que créatrices. » Et comme on est aussi optimiste qu’Erika, on est impatient de voir de plus en plus de projets de photographEs associant aussi hommes et érotisme.


Lexique :

homme cis : une personne née de sexe masculin et dont le genre est masculin.

queer : se dit de personnes qui ne veulent pas se voir définit par leur sexe et/ou leurs pratiques sexuelles.

Vous voulez aller plus loin ?

Les artistes : Annie Sprinkle, Claude Alexandre, Krista Beinstein, Erika Lust, Justine Pluvinage et Marit Östberg


Festivals de films érotiques qui réinventent le genre : le PorYesFeministPornAward et le Pornfilmfestival à Berlin, le Festival du film de fesses à Paris et les Feminist P*rn Awards de Toronto


Et si vous passez à Berlin ou si vous y vivez, on vous conseille vivement l’exposition « Porn this way« , au Schwulesmuseum, jusqu’au 31 mars 2015. Vous y découvrirez l’histoire de la pornographie homosexuelle et de la transpornographie.