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Avec sa série A Geological Index of the Landscape, Benoît Jeannet nous offre un autre regard sur le paysage. Les déambulations du promeneur solitaire, héritières de l’imaginaire romantique des XVIIIème et XIXème siècles, très peu pour lui. À deux milles lieux de ces représentations, ce jeune photographe suisse analyse et décompose le paysage en ses éléments pour en donner sa représentation personnelle.

|Toutes les photographies © Benoît Jeannet


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« J’ai fini par me lasser de la vision romantique du paysage : je trouvais la déambulation dans divers environnements un peu trop old school. Je veux casser l’aspect trop esthétique de la belle image. » – Benoît Jeannet


Des images de pierres, de minéraux, d’îles, d’eaux ou encore de ciels. De ces motifs, Benoît Jeannet, jeune diplômé de l’Ecal (École Cantonale d’Art de Lausanne), nous en livre des dizaines de variations dans son projet « A Geological Index of the Landscape », fruit d’une exploration de plusieurs années du paysage et de ses éléments.

Si ce travail et son titre nous procurent un sentiment d’exhaustivité et peut nous laisser penser que le photographe a nourri des ambitions de scientifique, ses intentions sont pourtant toutes autres. Pour Benoît, la vision romantique du paysage a fait son temps : récurrente dans le champ de la photographie artistique, il est pour lui l’heure de tourner la page et de la faire voler en éclats (bien rangés).



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Cette typologie est à la fois une interprétation personnelle du paysage et une analyse de l’ambition de l’homme à vouloir se l’approprier.



► ► ► Voir aussi : D’autres regards sur le paysage ? C’est par ici !


OAI13 : Comment est née cette série ?

Benoît Jeannet : Ce projet a beaucoup évolué depuis que j’ai commencé à travailler dessus il y a à peu près cinq ans. Les premières images étaient construites sur une approche super formelle du paysage. Après deux ans, comme je ne savais plus trop où je voulais en venir, je l’ai mis de côté. Je suis revenu dessus plus tard, avec un regard un peu plus froid. Ce recul m’a permis d’être plus difficile avec les images et de commencer à conceptualiser le projet. Je me suis alors mis à remettre en question les images, à les analyser comme un scientifique.



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Le livre L’invention du paysage d’Anne Cauquelin m’a beaucoup inspiré, notamment sur la notion de représentation. Selon la philosophe française, le paysage est défini par sa représentation et donc par son cadre, c’est à dire par les éléments qui le constituent. À partir de cette base, j’ai commencé à expérimenter et j’ai entrepris un travail de décomposition.

J’ai par exemple récupéré des pierres dans différents endroits pour les photographier sur fond blanc, et exploré les liens existants entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. J’ai tenté de me mettre dans la peau d’un scientifique observant les éléments pour ensuite essayer de les reconstituer en créant des fausses tempêtes de sable, des faux nuages, etc. Cette recherche m’a permis d’accumuler beaucoup d’images. Au bout d’environ mille, j’ai commencé à éditer le livre et à en établir la structure en collaboration avec une graphiste. C’est là que le projet s’est rigidifié sur son aspect scientifique et froid.



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« J’essaie de donner l’impression d’être objectif et rigoureux, et à la fois complètement arbitraire. On pourrait s’approprier le paysage de milles façons différentes encore. »
– Benoît Jeannet



Pourquoi tu as cette approche scientifique du paysage ?

J’ai fini par me lasser de la vision romantique du paysage. Je trouvais la déambulation dans divers environnements un peu trop old school et c’est pourquoi j’ai décidé de m’éloigner du documentaire le plus possible. Je veux casser l’aspect trop esthétique de la belle image. Ce que je trouve intéressant, c’est le fait de confronter cet aspect émotionnel à une sorte de rigueur scientifique, plus liée au besoin de l’homme de pouvoir s’approprier le monde en le reconstituant. C’est cette tension entre l’émotionnel et le rationnel qui constitue le projet.



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C’est pour ça que ta manière de représenter le paysage semble plus artificielle que naturelle ? J’ai l’impression d’être dans un laboratoire.

C’est du cinquante-cinquante. J’ai peut-être une manière de photographier assez rigide, mais c’est surtout mon editing qui donne cette impression car il doit y avoir quatre vingt pour cent des images qui sont liées à la réalité.



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Qu’est-ce qui t’interpelles en premier dans un paysage ? Qu’est-ce que tu vas commencer par photographier ?

Ça dépend des paysages. Pour ce projet, je me suis intéressé aux icônes, aux symboles, ainsi qu’aux systèmes de classification scientifique afin d’établir une nomenclature. Au début du processus de classification, il y a ce que l’on appelle « définir un prototype ». J’ai cherché à établir quels étaient les prototypes de chaque catégorie phare du paysage : qu’est-ce qu’un prototype de montagne ? Qu’est-ce qu’un prototype d’île ?

Pour l’île par exemple, on peut dire que c’est une sorte de rocher ou de minéral entouré d’une étendue d’eau. À partir de là, j’ai essayé de trouver quels paysages réels permettaient de synthétiser le plus possible ce symbole. J’ai fait des recherches formelles sur des endroits géologiquement intéressants : quelles îles y a-t-il en Europe ou en Suisse ? Quelles montagnes peuvent correspondre au type d’images que j’ai envie de faire ? Ce sont autant de questions que je me suis posé.



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« On confond trop souvent une représentation personnelle du paysage avec un panorama ou une scène réelle. »
– Benoît Jeannet



Pourquoi tu photographies plus la roche ou le minéral que le ciel ou l’herbe par exemple ?

Ça vient d’une idée formelle. En faisant pas mal d’images de montagnes et de grottes, je me suis approché du minéral, très présent dans ce genre d’endroits. Je me suis alors aperçu à quel point ce matériel était intéressant : on peut jouer avec la réalité de son échelle, en photographier d’immenses, mais donner l’impression qu’il sont petits et inversement. Et puis la roche, le minéral, ce sont en quelque sorte des témoins du temps. La roche et la pierre, en se fossilisant, gardent les traces de la vie. Leur empreinte temporelle est vraiment plus longue que le simple mouvement des vagues ou que d’autres éléments qui appartiennent au paysage.



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Quelle est ta propre définition du paysage du coup ?

Ma définition est plus froide que personnelle et est dominée par l’idée de représentation : elle dépend de ce que chacun fait du paysage, de la façon dont chaque personne peut se le représenter. On confond trop souvent une représentation personnelle du paysage avec un panorama ou une scène réelle.



Ce travail, c’est ta propre interprétation du paysage ou une réflexion sur la manière dont on va s’approprier le paysage ?

C’est une recherche personnelle, ma façon de voir les choses. Ce que je trouve assez drôle dans ce travail, c’est qu’il donne une illusion d’exhaustivité. J’essaie de donner l’impression d’être objectif et rigoureux, et à la fois complètement arbitraire. On pourrait s’approprier le paysage de milles façons différentes encore.



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Pour aller plus loin :

– Benoît Jeannet vit et travaille à Neuchâtel en Suisse. Il est diplômé de l’école cantonale d’art de Lausanne (ECAL) et de l’école supérieure d’arts appliqués de Vevey (CEPV).
– Il est lauréat du Prix PhotoforumPasquArt de Bienne 2015.
A Geological Index of the Landscape a donné lieu à un livre nominé en 2015 pour le Prix Paris Photo-Aperture Foundation Photobook dans la catégorie « First Photobook of the year ».
– Vous pouvez voir plus d’images de son travail sur son site.
– Lors de notre entretien, Benoît a précisé que chacune de ses expositions consistait également en une certaine interprétation du paysage. Si, en ce qui concerne les prises de vue, le projet est donc terminé, chacune de ses expositions permet d’en avoir une compréhension nouvelle.
– À propos de l’Invention du paysage d’Anne Cauquelin : Gérard Chouquer, « Anne Cauquelin, L’invention du paysage. Paris, PUF, 2000, 180 p. (« Quadrige »). Et: Le site et le paysage. Paris, PUF, 2002, 194 p. (« Quadrige »). », Études rurales.

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