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Les cicatrices du génocide rwandais se referment-elles avec la photo ?

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La Petite Reine du Rwanda, Colin Delfosse

Mardi 7 janvier, le Rwanda a débuté la commémoration des 20 ans du génocide en allumant une flamme qui fait le tour du pays jusqu’au 7 avril, date de début du deuil national. De 1994 à aujourd’hui, le génocide rwandais a été beaucoup traité photographiquement. En vingt ans, qu’est-ce que la photographie nous a appris sur cet évènement traumatisant de l’histoire ? De 1994 à 2013, les projets photographiques ont évolué du reportage sur le génocide à la reconstruction et la projection d’une nation dans l’avenir.


James Nachtwey – 1994 : les horreurs du génocide

En 1994, alors que la communauté internationale n’emploie pas encore le terme de « génocide », James Nachtwey photographie les atrocités perpétrées au Rwanda. En commande pour Time, il crée des images dont le monde entier va se souvenir tant le choc est violent. « Le monde s’accorde sur un nombre de 800 000 victimes environ. C’est un très gros nombre… Peu importe ce qu’il désigne. Imaginer 800 000 têtes défoncées par les roches, 800 000 corps empalés sur des lances ou battus à mort à coup de machette, assomme l’esprit », explique James Nachtwey au Time en 2011.

Génocide rwandais, James Nachtwey

Légende : Le massacre a eu lieu à Nyarabuye sur le terrain d’une église et de l’école catholique. Des centaines de Tutsis, dont de nombreux enfants, ont été abattus à bout portant, Rwanda, 1994. © James Nachtwey

Site internet : jamesnachtwey.com

Pieter Hugo – 2004 : les traces du génocide

Rwanda 2004: Vestiges of a Genocide

Dix ans après le génocide, Pieter Hugo est allé photographier les traces du conflit. À la manière d’un chercheur archéologue, il traque les traces évidentes d’un conflit encore visible partout, dans toutes les mémoires, dans tous les lieux. Pieter Hugo parle de « vestiges » d’un génocide, et pour cause, ses photographies révèlent tout ce qui ne disparaît pas, malgré le temps qui passe.

Rwanda 2004 : vestiges of a genocide, Pieter Hugo

Rwanda 2004: Vestiges of a Genocide © Pieter Hugo

Site internet : pieterhugo.com

Jonathan Torgovnik – 2008 : les conséquences sur la société

Rwanda – Intended Consequences

Jonathan Torgovnik est l’auteur d’une série de portraits de femmes violées durant le génocide accompagnées de leurs enfants issus de ce viol. Exposé aux Rencontres d’Arles en 2012, ce travail a remporté le prix Découverte tant les images et les textes sont forts. À travers ces photographies et témoignages, on découvre les conséquences à long terme du génocide. Comment construire un lien familial quand son origine est associée à une tragédie nationale ?

Rwanda, intended consequences, Jonathan Torgovnik

Légende : Valentine et ses filles, Amélie et Inez (derrière)
Ce jour-là, le 9 avril, ils ont attaqué la maison de mon mari et l’ont tué. On venait de terminer de notre lune de miel. On était marié depuis trois mois et j’étais enceinte de deux mois. Je portais une petite fille. Le chef des milices était impitoyable. Il a placé une lance entre mes jambes pour me forcer à écarter les jambes. J’étais violée tous les jours, et pendant la journée j’étais enfermée. Quand j’étais dans un camp de réfugiés au Congo, j’ai donné naissance à ma fille. Heureusement, elle était en vie. Je suis restée là bas et j’ai été violée par d’autres hommes. Peu après, je suis retombée enceinte. Un jour, j’ai embarqué dans un camion qui ramenait des gens au Rwanda. Quand je suis rentrée au pays, j’ai appris que toute ma famille avait été assassinée. J’étais l’unique survivante de ma famille. Ça m’a pris énormément de temps avant d’être capable de m’asseoir et de parler comme nous le faisons là.
J’aime plus ma première famille car sa naissance est due à l’amour. Ma deuxième fille est le résultat d’une circonstance. Je n’ai jamais aimé son père. Mon amour est divisé, mais tout doucement, je commence à comprendre que cet enfant est innocente. Je commence à l’aimer car je comprends qu’elle est aussi ma fille. © Jonathan Torgovnik

Site internet : torgovnik.com

Colin Delfosse – 2013 : la reconstruction aujourd’hui

La petite reine du Rwanda : cyclisme au pays des milles collines

Depuis 2009, une course nationale de cyclisme s’organise au Rwanda. L’équipe nationale est constituée de Hutus et de Tutsis. C’est ce symbole d’union nationale que Colin Delfosse est allé photographier en 2013. Pour lui, il est maintenant important de montrer le nouveau visage du Rwanda. Bien sûr, il faut continuer de parler du génocide, mais ne parler du Rwanda que par son génocide n’est pas non plus une bonne chose. Le pays se reconstruit, l’économie se relance, et cette étiquette du génocide constitue parfois un frein à l’évolution positive du pays. Cette course de vélo parcours le Rwanda, mobilise la population, montre l’union d’une équipe et donne de l’espoir à ceux qui la vivent.

La Petite Reine du Rwanda, Colin Delfosse

Légende : Des éleveurs sur le passage du Tour, région de Muhanga. 80% de la population rwandaise vit en zone rurale et est engagée dans l’agriculture. © Colin Delfosse

La Petite Reine du Rwanda, Colin Delfosse

Légende : Abraham Ruhumuriza et Adrien Niyonshuti de la « team Rwanda » dans l’étape 7, RUBAVU Gisenyi-Kigali. © Colin Delfosse

La Petite Reine du Rwanda, Colin Delfosse

Légende : Nathan Byukusenge, de l’équipe Rwanda, dans le stade Amahoro de Kigali. © Colin Delfosse

Site internet : outoffocus.photoshelter.com

Julie David de Lossy – 2013 : l’avenir du Rwanda

Rwanda, the Return of the Diaspora

Le Rwanda est le pays d’Afrique Centrale où le retour de la diaspora est le plus important. Julie David de Lossy a documenté particulièrement le retour des jeunes entre 25 et 32 ans qui, après avoir été éduqués en Europe, reviennent au Rwanda pour s’y installer et créer leur entreprise. Julie a vécu à Kigali, capitale du Rwanda, pendant deux mois. Elle a tout de suite été frappée par ces espaces verts dans la ville, comme si 20 ans après le génocide, la nature avait repris ses droits. En écho à ces arbres verdoyants, Julie a fait le portrait de jeunes Rwandais qui renouent avec leur pays d’origine. Comment expliquer ce retour massif ? Le gouvernement a adopté une politique très forte vis-à-vis de la jeunesse. Un grand nombre de programmes permet aux Rwandais de venir visiter leur pays pour une dizaine de jours (le billet d’avion leur est offert). « Le gouvernement s’adresse aux jeunes et leur dit que leur pays n’attend qu’eux. Ce discours est très efficace, et la preuve, c’est que ça marche ! », explique Julie. Bien sûr, la corruption est encore présente et la stabilité politique n’est pas encore gagnée, mais nombreux sont ces jeunes qui croient à la reconstruction de leur pays.

Rwanda, le retour de la diaspora, Julie David de LossyRwanda, le retour de la diaspora, Julie David de LossyRwanda, le retour de la diaspora, Julie David de Lossy

Rwanda, the Return of the Diaspora © Julie David de Lossy

Site internet : julieddl.be

Quelque part, la photographie a été témoin durant 20 ans de la reconstruction du Rwanda à partir d’une tragédie. Quel rôle l’image a-t-elle eu dans cette histoire ? De James Nachtwey, qui révèle l’horreur du génocide, à Julie David de Lossy, qui nous encourage à regarder le Rwanda autrement, la photographie nous rapproche tout en apportant du recul, elle remet en question, elle nous donne matière à réfléchir et à évoluer.

3 COMMENTS

  1. Bonjour,

    Je suis une étudiante en histoire de l’art et pour mon mémoire de recherche en M1, je travaille sur la perception du génocide rwandais par des photographes internationaux mais aussi locaux. Je tiens à vous remercier pour cet article qui m’a fait découvrir d’autres photographes ayant travaillé sur ce sujet…
    Bonne journée

    • Merci à vous. N’hésitez pas a nous faire parvenir votre mémoire dès que vous l’aurez terminé (contact@ourageis13.com).
      Bon courage !

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