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Le Mois de la Photo de Berlin s’interroge sur l’Europe de demain

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Ce novembre, il n’y a pas que Paris qui vit au rythme des expos photos. Le Mois de la Photo existe aussi à Athènes, Berlin, Bratislava, Budapest, Ljubljana, Luxembourg et Vienne ! Conçus sur le modèle parisien, ces festivals automnaux européens fleurissent dans les capitales européennes depuis les années 1980. Du 16 octobre au 16 novembre, Berlin organisait la sixième édition de son « Monat der Fotografie » sous la direction artistique de l’historien de l’art Frank Wagner.

| Par Nathalie Hof



Cet article fait partie du dossier : Mois de la Photo, et si on faisait un tour à Berlin ?

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Siebrand Rehberg: festival mondiale de la jeunesse et des étudiants, Alexanderplatz, 1973, Courtesy: Collection Regard


Le Mois européen de la Photographie est le festival le plus important en matière de photographie en Allemagne. En 2014, l’évènement se donne comme ambition de brosser le visage européen d’hier et d’aujourd’hui tel que les photographes le perçoivent : « Qu’entendons-nous par Europe aujourd’hui, par rapport à ce qu’on en disait dans le passé ? » (What do we mean by Europe today, as opposed to the past?).

Le thème de cette année, « Bouleversements et utopies. L’autre Europe », se divise en 5 chapitres qui se subdivisent à leur tour en une myriade d’expositions : (1) Rencontres historiques, (2) Transformations sociétales, (3) Portraits sociaux, (4) Vision et existence, (5) Perspectives internationales.

Près d’un siècle de bouleversements européens, de modes et mouvements sociaux se trouve retracé en photographies. Des images de conflits, d’actions et d’idéaux politiques, de vie quotidienne et du développement culturel et économique des XXème et XXIème siècles sont exposées pour répondre aux questions suivantes : sur quoi se construit l’Europe d’aujourd’hui ? Qui compose cette Europe et quelle est-elle ? Comment la photographie peut-elle nous permettre d’acquérir un recul critique et de rendre possible les transformations futures ?

Parallèlement au « Monat der Fotografie » s’est ouvert cette année le premier « Monat der Fotografie OFF » organisé par le collectif ParisBerlin>Fotogroup. L’occasion de découvrir, en 19 expositions supplémentaires d’autres travaux de photographes débordant largement les cadres du thème européen.

Ce festival est une vrai jungle. Un foisonnement d’expositions disparates qui va de la grande exposition phare aux expositions plus expérimentales. OAI13 s’est rendu à Berlin et a y pris la température de l’évènement.



Le Mois de la Photo, un festival construit autour d’une exposition centrale

« Comment les photographes et les artistes d’aujourd’hui représentent les événements historiques, définissant les caractéristiques culturelles et les changements qu’ils subissent, ainsi que les relations sociales ? Comment est formulée la mémoire, et comment résistons nous à l’oublier ? »

Présentation de l’exposition « Memory Lab: The Sentimental Turn. Photography Challenges History »


galerie_kd_eigen_bild_gregori_djenissa_thenewroma_webJeannette Gregori: Djenissa from the series « The New Rom », 2010, Courtesy: Galerie Kai Dikhas


Le Mois européen de la Photo, bien que regroupant 500 évènements, trouve sa dynamique dans une exposition centrale, celle qui occupe les murs du « Martin-Gropius-Bau », lieu culturel majeur de Berlin, jusqu’au 15 décembre prochain. Elle s’intitule « MemoryLab: le tournant sentimental. La photographie défie l’histoire. ». Elle est divisée en cinq parties correspondant chacune à un des cinq sous-thèmes du festival. Les problématiques traitées sous ce libellé gravitent autour des questions de notre rapport au passé, à la mémoire et sur la manière dont ces artistes font parler au présent les évènements historiques.

Avec des artistes sélectionnés tant en Europe qu’aux États-Unis, la programmation de l’exposition dépasse largement les frontières conventionnelles de l’Europe. Ce qui importe, ce n’est pas tant la nationalité de l’artiste et le lieu sur lequel il s’est penché que les problématiques et les émotions que son travail soulève. L’émotionnel est ainsi préféré au style documentaire pour mettre en place une pratique de la photographie privilégiant les réactions du spectateur au témoignage d’un fait.

On peut ainsi voir exposés côte à côte les portraits d’Erwin Olaf pris dans les anciennes arènes des jeux Olympiques de 1936 organisés par les nazis, la « Bible sacrée » du duo d’artistes Broomberg et Chanarin illustrée par des photos de conflits puisées dans des archives londoniennes et des jeunes hongrois queer photographiés par la jeune Anna Charlotte Schmid.


bc-holy-bibleAdam Broomerg et Oliver Chanarin: Divine Violence, 2013


Annacharlotteschmid-01Anna Charlotte Schmid: Kolos and Gabor from the series « The Other Side of Venus », 2011


Autour de l’exposition centrale, une centaine d’autres restent à découvrir. De manière générale, Berlin semble tourner son regard vers l’Est : on trouve entre autres des oeuvres de photographes polonais, russes, biélorusses, turques, lituaniens ou encore hongrois. On a eu un coup de coeur pour le projet « Escape » de Danila Tkachenko, une photographe russe qui s’intéresse aux relations d'(inter)dépendance entre l’homme et la société.


escape-tkachenkoDanila Tkachenko: Espace 5 from the series Escape, 2013, Courtesy: 25books



25 ans après la chute du Mur de Berlin : bilan et perspectives en photographie

Cette édition du Mois européen de la Photographie n’est pas une édition comme les autres. 25 ans plus tôt, le 9 novembre 1989, le Mur de Berlin tombait. Plusieurs expositions font revivre en photographie l’histoire de la capitale allemande de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale à aujourd’hui.


co_willmcbride_mcbride_1_webWill McBride: plage du lac Wannsee, 1959, Courtesy: C/o Berlin


Tandis que les photos de la jeunesse berlinoise de l’américain Will McBride (exposées à la fondation C/O Berlin) et celles du Kreuzberg des années 1970, quartier populaire de Berlin Ouest, de Siebrand Rehberg (à la Collection Regard) nous plongent en pleine Guerre Froide, les tirages de Günter Zint, photoreporter pour l’hebdomadaire allemand Stern au moment de la chute du Mur, nous font (re)vivre l’évènement (à la Browse Gallery).

muehlenhaupt_browse-gallery_grenzoeffnung_zint_02_webGünter Zint: o.T. from the series DDR-Grenzöffnung (RDA-Ouverture de la frontière), 1989, Courtesy: Browse Gallery/Mühlenhaupt Museum Berlin Kreuzberg, Community Impulse Initiative e.V.


Au hasard des expositions, nous avons également découvert celle du livre « Berlin Wonderland » qui nous montre le Berlin des années 1990-1996 et son effervescence artistique et musicale. 6 photographes allemands ont participé au projet. Leurs images ont d’autant plus de profondeur que certains d’entre eux ne furent pas seulement témoins de cette époque, mais aussi et surtout acteurs à part entière : Ben de Biel a fondé ou co-fondé plusieurs clubs berlinois, Stefan Schilling a participé à la vie du célèbre squat « Tacheles » dont les portes sont, depuis 2012, définitivement closes.


Qu’en est-il alors de Berlin en 2014 ? Les expositions nous montrent une ville qui se cherche : en dressant le bilan de ce qu’elle est devenue, elle s’interroge sur son avenir. En une vingtaine d’années, Berlin a acquis la réputation de capitale « pauvre mais sexy« , pour reprendre les termes de son ancien maire, Klaus Wowereit. Nouvel Eldorado pour immigrés, artistes, étudiants, clubbeurs et entrepreneurs, la gentrification et l’attrait croissant de la ville font aujourd’hui monter les prix. Mais les salaires restent bas. Nombreux sont les photographes qui aujourd’hui se penchent sur ces mutations, ces inquiétudes et veulent capter le mode de vie berlinois avant de, peut-être, le voir disparaître.

Sabine von Bassewitz a ainsi voulu rendre hommage au quartier cosmopolite de Neukölln en photographiant ses habitants et en exposant leur portraits dans une galerie du district. Oliver Vaccaro, exposé dans le OFF, a quant à lui commencé à photographier et à dessiner depuis peu les noctambules sortant des clubs au petit matin. Les photos comme traces, les dessins comme focus sur les attitudes, les gestes, les détails.

Il nous raconte : « Berlin, le samedi matin, très tôt. Le jour se lève à peine. Je me dirige devant l’entrée des boites de nuit. J’attends le moment ou quelqu’un va sortir. Dans cet anonymat, tous ont un point commun, faire la fête. Cet état confère une solidarité et une complicité entre les gens. Le matin, lorsque le jour se lève la ville est encore endormie mais une faune nocturne est encore active. »


Oliver_Vaccaro_1Berlin Out, 2014, Courtesy: Oliver Vaccaro


Oliver_Vaccaro_2Berlin Out, 2014, Courtesy: Oliver Vaccaro



Un terrain d’expérimentations et d’ouverture photographiques

Pour construire un nouveau regard sur l’Europe, le festival n’hésite pas à exposer des travaux expérimentaux. Parmi eux, on compte notamment les projets des étudiants des écoles de photos berlinoises en fin de cycle. « Fotoschule Berlin », « Neue Schule für Fotografie »,  » Berufsfachschule für Design » et « Ostkreuzschule », pour n’en citer que quelques unes. Si certains projets nous ont laissé dubitatifs, d’autres furent de bonnes découvertes.

Ce fut notamment le cas à l’école Ostkreuz où vingt-huit étudiants ont exposé leur projet de fin d’études. Chacun à leur manière, ils interrogent les frontières entre photographie documentaire et plasticienne en s’intéressant à des réalités européennes d’aujourd’hui, majoritairement allemandes. Torben Geeck a ainsi mis en place une installation en trypique d’inspiration religieuse dans laquelle il expose des photos de jeunes berlinois errant à Alexanderplatz [ndlr. une place centrale de la capitale]. Dans ce projet intitulé « ANTI » initié en 2012, il cherche à comprendre la microsociété que constitue ces adolescents aux comportements extrêmes et contradictoires :« Je cherchais à réaliser des images qui donneraient des informations sur la relation de l’individu au groupe, sur les mécanismes de comportement de groupe chez des personnes qui sont à peine capable de liens durables en raison de leurs conditions sociales difficiles. » nous explique-t-il. Les photos sont crues, brutales et sans aucune idéalisation des personnes : on voit leurs ongles sales, les cicatrices et griffures couvrant leurs corps, leur environnement rempli de déchets. Néanmoins, elles ne sont pas dénuées de sympathie à leur égard.


Torben_Geeck_1ANTI, Courtesy: Torben Geeck


Torben_Geeck_2ANTI, Courtesy: Torben Geeck


Et puis il y a tous les évènements autour des expositions qui viennent favoriser les échanges entre photographes, professionnels de l’image, journalistes et spectateurs : Portfolio Review, vernissages, portes ouvertes gratuites des laboratoires, performances, concerts, interventions de photographes, workshops et bien d’autres.


Pour son « Europäischer Monat der Fotografie », Berlin ne met pas seulement l’Europe à l’honneur, mais aussi la capacité et la portée critique de la photographie. Plateforme d’échanges, de nouveaux questionnements, de rencontres, et de brassages culturels, cet évènement semble avoir pour ambition de construire une mémoire visuelle collective. Le but ? Permettre à tout un chacun de s’approprier les sujets des photographes pour faire des utopies d’aujourd’hui les réalités de demain.


Pour aller plus loin :

– Le site du Mois européen de la photo – Berlin (en anglais) : mdf-berlin.de
– Le site du Mois de la photo OFF de Berlin (en allemand) : Monat der Fotografie – OFF


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