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Auto-proclamé « appareil photo le plus populaire au monde », l’iPhone 6 est soutenu par une large campagne de communication. Plusieurs clichés aux qualités photographiques indéniables s’affichent sur les panneaux publicitaires ou en quatrième de couv’ des magazines. Mais ces photos ne sont bien sûr pas choisies au hasard. Elles véhiculent une certaine idée de ce à quoi devrait ressembler une photo prise par un professionnel. L’iPhone 6 nous transformera-t-il en vrais pros ?

Porter un coup fatal aux (trop) lourdes machines photographiques que sont les boîtiers d’appareils photos. Installer définitivement dans l’esprit du grand public qu’un téléphone est aussi un appareil photo performant, capable de produire des images de qualité professionnelle (ce dont la profession, elle, était déjà convaincue). Plus que dans aucune de ses campagnes précédentes, Apple a décidé de faire porter sur l’appareil photo la communication de son dernier modèle de téléphone. Mais encore fallait-il s’entendre sur ce qui représentait une photo réussie.

La première vague d’affichage a vu un nombre restreint d’images plutôt homogènes. Par exemple ça :



Photographie de Brendan O (légèrement recadrée)
Photographie de Brendan O (légèrement recadrée) (via)


ou ça :



Photographie de Andrew T (légèrement recadrée)
Photographie de Andrew T (légèrement recadrée) (via)



Photographie de Noah W (légèrement recadrée)
Photographie de Noah W (légèrement recadrée) (via)


Apparemment, la mode est aux rayures. L’effet graphique formé par les ombres créant toute une géométrie dans le cadre de l’image est un des grands classiques de la photo d’art ou à prétention artistique.

Considérons plus en détails la photo du milieu, celle prise dans le désert. Sur le site de la World Gallery de l’iPhone6, communauté d’images prises par les utilisateurs, chaque photo est simplement légendée par le prénom, l’initiale du nom de l’auteur, et le lieu de la prise de vues. si des applis ont été utilisées, elles sont mentionnées. Pour chacune, un commentaire aussi expert que succinct dévoile les secrets de la photo réussie.



(via)
(via)


Ici : Le terminateur est la ligne de rencontre de l’ombre et de la lumière. Sur la crête de la dune, le terminateur attire l’œil et donne une impression d’ascension. Pas tout à fait du Rimbaud : plutôt entre mysticisme et science-fiction, cette histoire de terminateur laisse un peu perplexe (ou le traducteur d’Apple serait-il moins performant que celui de Google ? Ne lançons pas de débat). Il faudrait surtout dire que les ombres qui forment des vagues sur la dune, c’est un gros cliché.

Entrons sur un moteur de recherche : « photos dunes sahara » :



googlesearch-dunes

Ah oui, quand même…

Mais revenons aux deux premières photos de la série : elles fonctionnent sur des effets d’écho. Les lignes géométriques qui scandent la photo constituent un motif bien identifié dans l’histoire de la photo et largement travaillé, depuis les photos d’architecture de Lucien Hervé aux ombres portées sur des des galbes fessiers par Lucien Clergue, en passant par des shootings de mode de William Klein.



Lucien Clergue (qui aimait bien les dunes aussi)
Lucien Clergue (qui aimait bien les dunes aussi)



William Klein
William Klein


La photographie noir et blanc aime les ombres mais elle aime aussi les chiens : ils reviennent régulièrement dans les photos de Anders Petersen à Antoine D’Agata, en passant par Josef Koudelka.



Anders Petersen
Anders Petersen



Josef Koudelka
Josef Koudelka


Le principe de la série d’images est donc clair : c’est de la photo pro parce que ça ressemble à de la photo pro (disons : parce que ça rappelle des photos consacrées). Voilà bien là l’un des principaux écueils de la photographie : faire des photos qui ressemblent à d’autres photos. Une idée qui ne peut qu’entraver notre créativité en nous faisant entrer dans des normes photographiques. Et il faut bien le reconnaître, du grand classicisme pour un outil censé incarner la modernité.


La deuxième vague de cette campagne de photos illustrant les possibilités de l’iPhone 6 n’est guère plus originale, nous faisant entrer dans une esthétique conventionnelle de magazine de voyages : contrées lointaines, belles couleurs. Et bien sûr, le choix du réseau d’affichage privilégie les panneaux publicitaires rétro-éclairés, toujours plus flatteurs pour le rendu de la photo, comme le sont les écrans de smartphones.



Photographie de Kim G (légèrement recadrée)
Photographie de Kim G (légèrement recadrée) (via)


A San Francisco, une contre-publicité sauvage est alors apparue : orchestrée par de jeunes pubeurs, elle s’intitule « Aussi photographié avec un iPhone 6 ». Son but ? tourner la campagne d’Apple en dérision en affirmant que le téléphone servira surtout à faire des selfies peu passionnants. Mais cette contre-campagne, pour aussi sympathique qu’elle apparaisse, présente une confusion dommageable : celle de confondre dans une même image l’inintérêt de la photo et celui du sujet.

Le même selfie (même pose, même cadrage) d’une célébrité au sourire aguicheur ou à la grimace provocante n’aurait-il pas constitué une photo pleine d’intérêt ? Message implicite : votre image constitue une photo inintéressante. A travers une critique de l’image, ce sont ici les individus/sujets qui sont dévalorisés.



Shot-on-iPhone-6-2-560x420


Shot-on-iPhone-6-560x400

Alors, se la jouer pro ou faussement amateur ? La photographie impose toujours des codes très forts : peut-être le plus important consiste-t-il à s’en débarrasser pour parvenir à une expression personnelle.